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d’elle-même pour découvrir le vrai coupable, et plus on croit que la religion est chose sainte, plus on est épouvanté des souillures qu’elle est allée sans cesse amassant dans son pacte avec le prince de ce monde, dans le pacte qu’elle a fait pour obtenir la domination de ce monde. En proscrivant tout comme chose impure, elle avait déjà enseigné le mépris universel, et elle y avait perdu sa grandeur morale; en voulant posséder des serfs, elle s’est rendue complice des barons, et elle a renoncé à la pureté; en recourant aux bûchers, elle est devenue inhumaine et odieuse; en se faisant parti politique, elle en est venue au mensonge, aux conspirations, à l’assassinat, elle a renié tout le Décalogue; en se faisant casuiste pour achalander ses confessionnaux, c’est Dieu même qu’elle a abjuré.

Mais, le fait admis, il reste à savoir sur qui et sur quoi doit en retomber la responsabilité, et c’est dans cette seconde enquête que l’auteur de la Sorcière nous semble fort en défaut. A-t-il cherché à démêler dans ces funestes aberrations ce qui pouvait venir du temps et des races, ce qui devait être porté à la charge du christianisme ou de ses interprètes? Je ne le vois pas. Pour un homme qui connaît aussi parfaitement l’histoire romaine, il me semble que M. Michelet s’est bien laissé aller à ne voir dans le vieux paganisme, comme dans le paganisme renouvelé de la renaissance, que le culte de la vie, de la beauté, de la nature; il me semble qu’il n’a guère tâché de se rappeler ce que la décadence du paganisme avait légué au monde chrétien, ce qu’elle avait laissé d’épuisement et de mauvais élémens : l’esclavage, la fiscalité, la licence de tous les appétits, l’exploitation effrontée de l’homme par l’homme, les orgies syriaques, partout la superstition, le désespoir et la démence. En parlant, dans un volume récent de son Histoire de France, de la famille des Estienne, où les femmes mêmes s’entretenaient en latin avec les correcteurs de toute nation, il écrivait : « Ainsi tout était harmonie, et le grand imprimeur, ses ouvriers lettrés, ses enfans, ses savantes dames, présentaient l’unité du vrai foyer antique. » M. Michelet n’est pas loin, quoiqu’il ne le dise pas, d’attribuer au paganisme jusqu’à l’émancipation de la femme, jusqu’à sa dignité comme être moral, — et les autres mérites qu’il lui accorde ne sont guère moins étonnans. Oui, le paganisme était l’esprit de cité, la tradition des libertés du citoyen ; mais il était la liberté pour quelques-uns à l’exclusion de tous les autres, il était l’exploitation d’une multitude d’esclaves par une caste unique, l’exploitation d’un territoire par une seule ville, du monde entier par Rome et plus tard par un seul homme. Oui, il était la tradition des cultes nationaux; mais il était la négation de la religion et de la conscience individuelle : il représentait bien plutôt l’idée d’avoir des dieux pour soi seul et d’excommunier les Barbares que celle de laisser à chaque nation le droit