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Certes je n’ai nulle intention de me poser en défenseur du moyen âge. Quel que soit le sentiment qui a mis M. Michelet sur la voie, je crois qu’il a en somme bien jugé. Pendant plusieurs siècles, le vrai sens de notre histoire, c’est de dérouler à nos yeux, de nous présenter dans leurs développemens successifs les conséquences d’oppression et de mort qui sortent des deux principes du moyen âge, — comme plus tard, pendant plusieurs siècles, le sens principal de notre histoire est de nous retracer la série des pénibles efforts, efforts aveugles, souvent démentis, mais constans, irrésistiblement renouvelés, que fait la vie pour secouer le cauchemar et la cape de plomb qu’avaient fait peser sur l’humanité ces deux principes : le principe d’épouvante systématisé dans l’ascétisme, et la croyance en une autorité spirituelle infaillible. Il est impossible d’exagérer ce qu’il y avait d’abrutissant et de méphitique dans ce terrorisme de la peur qui s’acharnait à rétrécir l’homme, qui n’avait à proférer que des interdictions et des malédictions : malédictions contre la chair, la nature, la vie, contre l’athée, le Juif, contre tout enfin, si bien qu’il détrônait Dieu en effet pour tout livrer au démon. « Les esprits les plus sains et les plus robustes n’étaient que des malades. » Rien n’est donc à retrancher de ce jugement de l’historien. Incontestablement tous étaient malades, et à quel point ils l’étaient, il n’y a que bien peu d’années, de mois plutôt, que nous pouvons le comprendre. C’est d’hier que la science nous l’a enseigné en découvrant comment un objet brillant, tenu près des yeux et fixé pendant un certain temps, suffisait pour nous jeter dans le somnambulisme, dans l’anesthésie. Imaginez des hommes absorbés en eux-mêmes du berceau à la tombe, des esprits constamment tendus sous la fascination d’une même terreur, constamment et exclusivement concentrés dans la seule idée de mériter le ciel, d’imaginer et de s’imposer des mortifications et des douleurs pour se sauver eux-mêmes de l’enfer : littéralement c’étaient des cataleptiques.

Et quant à cette terrible contradiction d’une autorité spirituelle qui se prenait pour un pouvoir physique appelé à légiférer au temporel, d’une autorité morale qui, au lieu d’enseigner les sentimens qui doivent régner dans notre être moral et les mobiles qui doivent diriger et inspirer nos facultés, prétendait s’étendre par commandement à la sphère des actes et des conclusions, — qui donc ira jamais au fond de ce puits de l’abîme? Loin d’exagérer, M. Michelet n’a pas dit les plus funestes conséquences de ce principe religieux du moyen âge. A qui donc la faute si l’incrédulité et le paganisme règnent maintenant parmi nous? A qui la faute si nos plus grandes intelligences semblent ne s’exercer que pour découvrir des raisons de haïr et de mépriser le christianisme? à qui la faute si le livre de la Sorcière a été écrit? L’église n’a pas besoin de regarder hors