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et du désespoir renaissant, sous les chauds rayons du printemps, au sentiment de la nature, que le moyen âge avait maudite et qu’elle retrouve pour le salut du monde. «Autour d’elle se fait la vaste explosion de la vie, et tout ce qui naît, tout ce qui tressaille, tout ce qui aime la regarde et est pour elle. Chaque être dit tout bas : « Je suis à qui m’a compris... » Les arbres, sous le vent du sud, font doucement la révérence ; les herbes des champs, avec leurs vertus diverses, parfums, remèdes ou poisons (le plus souvent c’est même chose), s’offrent, lui disent : «Cueille-moi... » On avait dit le grand Pan mort ; mais le voici en Bacchus, impatient par le long délai du désir, menaçant, brûlant, fécond... « Non, non! loin de moi cette coupe ! » Vaine résistance! L’épouse du désert et du désespoir a beau vouloir rester fidèle à sa colère : où paraît la femme, c’est l’unique objet de l’amour. Le cheval hennit pour elle, rompt tout, la met en danger; le chef redouté des prairies, le taureau noir, si elle passe et s’éloigne, mugit de regret... Ni la colère ni l’orgueil ne la sauveraient de ces séductions. Ce qui la sauve, c’est l’immensité de son désir... Elle a une envie de femme, envie de quoi? Mais du Tout, du grand Tout universel. Satan n’avait pas prévu cela... À ce désir immense, profond, vaste comme la mer, elle succombe, elle sommeille... Le beau rêve ! Et comment le dire? C’est que le monstre merveilleux de la vie universelle chez elle s’était englouti, que désormais, vie et mort, tout tenait dans ses entrailles, et qu’au prix de tant de douleurs elle avait conçu la nature! »

M. Michelet est vraiment un magicien : c’est l’impossible qu’il rend possible et qu’il réalise. De cette sorcière qu’il a créée, de cet être qui ne représente que le désespoir provoqué par les terreurs et les oppressions du moyen âge, il réussit à faire sortir le réveil des sciences, le réveil de la philosophie, le réveil de l’activité humaine. Qu’il y ait là en effet beaucoup de puissance et de fascination, il n’est guère moyen d’en douter; mais en définitive quel sens attacher à tout cela, quelle conclusion l’auteur entend-il que nous en tirions? Lui-même a-t-il bien tâché de savoir au juste ce qu’il voulait, ce qu’il avait à conclure? Je cherche et j’hésite. « C’est le cœur qui unifie, » écrivait-il un jour pour nous expliquer comment, à travers toutes les variations de destinées, toutes les différences d’espèces et malgré la mort même, il était arrivé à ne voir dans tous les oiseaux qu’un seul être, l’oiseau, toujours le même oiseau, s’adaptant tour à tour aux conditions différentes de climats et de fonctions. Assurément c’est le cœur qui unifie, le cœur avec toutes ses passions, l’une comme l’autre. Une idée fixe de haine nous fait apercevoir partout une malice de l’objet détesté; elle nous fait retrouver dans tout mal une œuvre de lui, dans tout bien une nouvelle raison de le haïr, d’être pour ses ennemis.