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pèce d’ergastulum où le grand propriétaire tenait entassé tout un parentage, et où le mélange des sexes et des proches parens enseignait à ces populations si douces, si soumises, les étranges souillures que les pénitentiaires s’accordent à leur reprocher. Ce n’est pas encore le temps d’ailleurs de la grande culture avec ses rudes travaux qui enlaidiront et briseront la femme. Elle a maintenant du loisir dans sa cabane isolée; elle peut avoir une âme, et elle l’emploie à rêver à ces pauvres anciens dieux qui sont tombés à l’état d’esprits : esprits du foyer, petites fées logées au cœur des chênes et qui ont bien froid l’hiver, fadets et lutins qui prennent parfois du lait, mais qui aiment à aider la ménagère. Tous ces esprits, encore bien chers, encore bien près d’être aimés, quoiqu’ils soient si espiègles et qu’ils aient souvent fait rougir la jeune femme, parfois la nuit elle les entend; elle en a vu un qui riait en fuyant dans la flamme du foyer, car elle est un peu visionnaire, la pauvre serve. « La très pauvre nourriture de ces temps doit faire des créatures fines, mais chez qui la vie est faible. — Immenses mortalités d’enfans. — Ces pâles roses n’ont que des nerfs. De là éclatera plus tard la danse épileptique du XIVe siècle. Maintenant, vers le XIIe deux faiblesses sont attachées à cet état de demi-jeûne : la nuit le somnambulisme, et le jour l’illusion, la rêverie et le don des larmes. »

Tout cela cependant n’est pas encore la sorcellerie, n’en est pas même le vrai commencement. Avec ce même tact divinatoire dont je suis bien forcé de parler souvent, M. Michelet a senti que notre érudition s’était laissé duper par les analogies qu’elle apercevait entre les anciennes mythologies et la sorcellerie. Il ne s’agit pas en effet de savoir si ces esprits élémentaires issus des anciennes mythologies n’ont point été la donnée première et comme l’embryon qui, sans intervalle, a fini par produire le grand révolté, le prince des morts et le prince de l’air. Le point important est celui-ci : comment ces imperceptibles et gracieux génies, comment ces rêveries fugitives, ces songes légers d’une mélancolie encore sympathique et joyeuse se sont-ils transformés en une conception de haine et de blasphème, en une satanique incarnation du mal? Et M. Michelet nous a certainement donné une importante leçon d’histoire en refusant de s’arrêter aux doucereuses explications qui répondent par la voix de Bossuet ou par celle des exorcistes : « Faible et légère était la créature, molle aux tentations ; elle a été induite à mal par la concupiscence, n Le pacte avec Satan, l’audace de renier Dieu, de donner son âme et son éternité à l’enfer, il y a là quelque chose de trop monstrueux, de trop impossible à la nature ordinaire, pour qu’on puisse s’expliquer de tels emportemens « par la légèreté humaine, par l’inconstance de la nature déchue, par les tentations fortuites de la concupiscence. » L’histoire en effet a été