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s’arrête pas! avec quelle justesse il nous montre comment c’est là qu’est la vie, la vie qui élabore le progrès! Cette vérité seule vaut un livre, car c’est la vérité la moins soupçonnée. Tous nous sommes portés à ne tenir compte que de la langue littéraire, de la langue fixée par les dictionnaires et les académies, tandis que c’est dans les patois que se continue le grand courant, le travail de création, qui à la longue transforme ce langage officiel lui-même et doit amener la naissance des langues futures. A l’égard de l’histoire, même illusion. En étudiant une époque éloignée, nous y apercevons une foi religieuse et une idée politique qui règnent dans les institutions, dans les écoles, dans les cours de justice, dans tout ce qui se voit, et nous nous persuadons qu’elles sont tout ce qui existe; nous croyons que cette foi religieuse et politique est l’âme de l’époque, son âme active, la cause déterminante de tout ce qui s’y enfante. Cela n’est pas. C’est au sein de l’homme naturel, c’est par les instincts qui résistent, par les forces qui restent indépendantes, que s’enfante tout ce qui s’enfante, que s’accomplit jusqu’au mouvement qui force le système officiel à se transformer pour laisser passer de nouveaux besoins. Les doctrines, les principes sociaux et les morales sont simplement le vêtement et le frein, je veux dire ce qui contient, ce qui cherche à imposer une certaine forme aux énergies et aux dispositions que les individus ont reçues de la nature. Ou du moins toutes ces choses n’agissent et ne deviennent un moteur qu’en tant que les esprits les ont adoptées, se les sont assimilées, — et dans ce cas encore, à parler juste, ce ne sont pas elles qui agissent, ce sont les sentimens, les énergies individuelles qui ont pris leur forme. Les légendes religieuses elles-mêmes, ces fraîches églogues ou ces religieuses épopées qui sont devenues la poésie du christianisme et qui se sont pétrifiées dans les vies des saints, n’ont point été en réalité une efflorescence du dogme, une création de la foi chrétienne. Sans doute elles n’ont pu naître qu’à un moment d’intime accord entre les âmes et la foi, à une époque où le christianisme était encore dans sa phase maternelle, où, avant de se faire discipline et police, terreur et bûcher, pour retenir des esprits rétifs, il était tout occupé à couver et à réchauffer des esprits vides et morts, à les nourrir d’idées qu’ils n’avaient pas, et à leur procurer ainsi la joie de vivre davantage, de s’épanouir et de grandir. Entre la doctrine qui enseignait et les âmes qui écoutaient, il y avait donc la reconnaissance et la sympathie, le plaisir de donner et le plaisir de recevoir. Cela n’empêche pas que M. Michelet n’ait pleinement raison quand il dit : « Nos moines, qu’on croit originaux, ne font dans leurs monastères que renouveler la villa gallo-romaine. Ils n’ont nulle idée de faire une société nouvelle ou de féconder l’ancienne... Et quand on voit que ces vieillards vont si vite vieillissant, quand