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moyen âge pour se rétracter de l’avoir d’abord apprécié avec trop d’indulgence. Aujourd’hui, dans la Sorcière, il y a comme une intention de rectifier encore ce qu’il écrivait, même en 1859, sur la sorcellerie. Il semble trouver qu’il a été trop sévère pour cette protestation des victimes du moyen âge. En tout cas, tandis que dans ses pages de 1859 il employait volontiers le mot de débauche pour caractériser cette reprise de l’orgie païenne par un peuple de serfs qui avaient désespéré du christianisme, il fait cette fois la part beaucoup moins large au dévergondage et aux dangereux instincts qui se mêlaient à la ronde des désespérés. Il la peint sous des couleurs bien plus héroïques et bien plus touchantes; il ne met plus guère en relief que la douleur qui en faisait une accusation contre les iniquités des bourreaux. Sa sorcière, c’est presque la personnification de sa philosophie et de sa politique, c’est presque lui-même. Il est très près de ne plus voir chez elle que la haine de ce qu’il veut dénoncer comme odieux, que la révolte de la nature contre la religion de l’épouvante et de l’inquisition, qu’il regarde comme la malédiction qui pendant des siècles a assoti et aplati l’humanité. Il est très près de présenter la sorcellerie comme la première expression du principe opposé au principe de mort et d’oppression, comme le premier avènement de cet esprit de la nature qui est à ses yeux l’esprit de vie, celui dont il aime à suivre la lutte contre la foi de l’anti-nature, celui auquel il attribue tous les progrès qui se sont accomplis et dont il attend pour l’avenir le salut, le bonheur et la liberté.

N’oublions pas toutefois qu’il s’agit d’un esprit vigoureux. Le mal ne peut donc être sans compensation, et en effet à plus d’un égard cette idée fixe même a bien servi M. Michelet. Comme la lentille d’un microscope, elle a encore augmenté sa clairvoyance en grossissant un point aux dépens des autres; elle l’a aidé à pénétrer plus avant dans notre histoire, plus près de ce qui en est réellement l’âme. Pour tant d’autres, qui ne sont que patriotes et qui n’ambitionnent que la supériorité de leur pays, notre histoire ne peut être et elle n’est en effet que l’historique des causes qui ont contribué à former la puissance de la France, à la rendre une, compacte, et par là capable de dominer parmi les nations. Avec sa préoccupation religieuse, M. Michelet est à l’abri de ce vain et funeste patriotisme, de ce vaniteux matérialisme. Il est plus généreux, plus humain : son attention et son intérêt portent sur la signification morale des événemens, sur ce qui en fait chez nous la manifestation de la vieille lutte entre le bien et le mal.

A ne parler que de la Sorcière, avec quelle finesse tout d’abord et avec quelle profondeur il découvre et nous fait découvrir, sous le christianisme officiel du moyen âge, l’activité de la nature, qui ne