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peuvent que mieux dévoiler la Providence ; mais, par une condition déplorable attachée aux œuvres des hommes, ils ne savent guère prendre le bien sans le mal, et par exemple il est rare que de nos jours on ait su servir la religion sans nuire à la politique, et plaider, comme on dit, les droits de Dieu sans un grain de mépris pour ceux du genre humain. Que la piété du cœur engendre souvent le détachement des affaires du monde, on le comprend, on l’excuse ; c’est une faiblesse non de la piété, mais du cœur, car l’indifférence politique n’est pas autre chose au fond que l’indifférence à la justice, ce qui est un commencement d’impiété. Toutefois cette tiédeur du citoyen dans le chrétien se concevrait encore : ce qui est plus funeste et moins explicable, c’est la fréquente alliance qu’on a pu observer entre un zèle saint et une dédaigneuse hostilité envers tous les principes de liberté. Nous n’avons pas vu encore de réaction religieuse pure de tout contact avec une réaction politique ; nous n’avons pas vu se ranimer l’ardeur des croyances qui élèvent les destinées de l’humanité sans qu’aussitôt semblât s’abaisser la dignité des opinions, des espérances et des caractères. Or un tel contraste n’est pas naturel ; il n’est pas dans la nécessité des choses. De qui donc est-ce la faute ? Ce n’est certainement pas la faute du christianisme, les nations les plus chrétiennes ont donné au monde l’exemple de la liberté. « Sont-ce des athées, disait jadis Chateaubriand, qui ont gagné la bataille d’Arcole ? » Et sont-ce des athées qui ont fondé la république de Hollande et le gouvernement des États-Unis ?

Au commencement de ce siècle, un homme célèbre est parvenu, grâce au prestige d’un talent audacieux, à se faire accepter pour l’interprète de la foi et le conseiller de l’église, quand il n’était que l’organe d’une opinion et l’avocat d’un parti. Je cherche en effet la religion dans le comte de Maistre, et n’y trouve que la politique. Et quelle politique ? La politique de la force. Or, n’en doutons pas, c’est l’alliance fatale, dont il a été l’inspirateur, entre l’absolutisme et l’église qui a jusqu’ici rendu souvent amers les fruits d’une renaissance religieuse. L’église ne saurait trop se hâter de rompre avec le séducteur qu’elle a trop écouté, et ce n’est pas sans espérance qu’on entend çà et là s’élever de son sein la voix sage et douce de quelques docteurs timides et cependant courageux qui la rappellent à de meilleures doctrines et à de meilleures destinées.

Bossuet a établi qu’un bon gouvernement et de bonnes lois n’avaient pas besoin pour subsister de la vraie religion et de la véritable église. Je ne le conteste pas ; mais ce serait tout exagérer que d’en inférer que la religion et l’église véritables aient besoin, pour prospérer, des mauvaises lois et des mauvais gouvernemens. Or en vérité c’est ce qu’on croit lire dans bien des écrits trop peu désavoués.