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quille l’agonie d’Efisa. Ses dernières paroles furent pour son cousin : « Je me fie à toi, » dit-elle, et Gian-Gianu accepta comme un devoir sacré cette délégation de la haine. Efisa s’éteignit alors, jeune et belle, non comme la lampe épuisée dans la nuit sombre, mais comme une vive étoile dans le pur rayonnement du matin.

— Enfin! s’était écrié Gambini dès qu’elle eut rendu le dernier soupir. Gian-Gianu, qui se trouvait seul avec lui, le regardait avec stupeur. — Tu me crois un mauvais père, Gian ! Que Dieu t’épargne ce supplice de voir mourir ton enfant en l’entendant à chaque heure du jour te demander compte de sa vie, et d’avoir à lui marchander sa vengeance pour n’être pas contraint de te dénoncer toi-même à sa haine! Enfin! te dis-je, et c’est maintenant que j’invoque la promesse que me fit ton père, il y a onze ans. J’ai besoin de toi pour m’aider à venger ceux que j’ai tués. Écoute bien. Dans la journée qui précéda la nuit où fut frappé ce noble et malheureux jeune homme, un billet d’Esteban Paolesu me fut apporté à la ferme. Il avait, disait-il, une communication importante à me faire, et, désirant n’être pas vu chez moi, il me priait de venir au casotto de la macchia secca appartenant à son oncle. Je m’y rendis aussitôt et trouvai Esteban avec son frère Giometto. Esteban me remit cette lettre dont Sercomin t’a donné la copie à son lit de mort. D’après ce que tu m’as rapporté de ses dernières explications, il devait avoir été épié par l’un des deux frères, qui s’était emparé de la lettre déposée dans l’endroit convenu avec Efisa. Les Paolesu me donnèrent une foule de détails sur la liaison intime qu’ils disaient exister entre ma fille et Sercomin. Je ne pouvais pas démentir leurs assertions; la lettre, malgré des termes mesurés sans doute par la prudence, était là qui semblait les confirmer. En proie à une colère intérieure terrible, je demeurais cependant muet, irrésolu : à qui m’en prendre? qui frapper, cet étranger qui avait osé toucher à l’honneur d’Efisa, ma fille, qui avait ainsi livré aux sarcasmes et aux railleries le nom de son père, ou ces imprudens qui ne craignaient pas de me révéler sa honte et la mienne? Réfléchissant néanmoins que le mal n’était point irréparable, je répondis aux Paolesu qu’après tout Efisa était excusable d’aimer un homme qui pouvait devenir son mari. « Vous n’avez donc point lu la lettre? » me dirent ensemble les deux frères. Je voulus la relire. Les mots écrits tournoyaient devant mes yeux; mon esprit ne saisissait rien. Comme pour me venir en aide, Esteban appuya sur ce passage où Sercomin parle d’un engagement inviolable. « Sercomin est marié! » dit-il avec assurance. Esteban était-il de bonne foi en interprétant ainsi les paroles écrites par Sercomin? Avait-il eu l’infamie d’imaginer ce moyen de rendre mortelle ma colère contre un rival