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au printemps de l’année suivante. J’ignorais encore quel avait pu être le dénoûment du drame auquel j’avais assisté avec une sympathique tristesse. Toutes les lettres que j’avais écrites à Feralli étaient restées sans réponse. Ce que je savais du caractère de Gambini me faisait pressentir une vengeance terrible. Impatient de connaître ce qui s’était passé pendant mon absence, je me rendis directement à Alghero. Personne ne m’y attendait cette fois ; néanmoins j’espérais y rencontrer Feralli. Je trouvai sa maison fermée. Ayant acheté un excellent cheval et connaissant parfaitement les chemins, je partis, sans prendre de guide, pour Villanova. Je m’arrêtai quelques instans à Valverde. Il était environ six heures du soir. La campagne avait toujours le même aspect heureux et tranquille que je lui connaissais. Des paysans qui venaient d’achever leur travail de la journée étaient réunis devant la chapelle. Je pouvais demander au premier venu des nouvelles de Gian-Gianu, d’Efisa, de Gambini ; mais il m’en coûtait de m’adresser à des indifférens. J’arrivai donc sans m’arrêter à l’embranchement des deux chemins de Monteleone et d’Ossano ; j’hésitais encore sur la direction que j’allais prendre, lorsque le galop d’un cheval résonna sur les pierres du chemin. Quelques secondes après, le cavalier apparut au tournant. Je remerciai le ciel, car le cavalier qui venait à moi n’était autre que mon ami Gian-Gianu. Pendant qu’il s’avançait, je cherchais avec une avide curiosité à deviner sur sa physionomie les événemens qui avaient pu se passer pendant mon absence ; mais je n’y pus rien lire. C’était toujours la même expression grave et soucieuse. Aucune ride nouvelle ne sillonnait son front ou ne creusait sa joue ; à l’âge de Gian-Gianu, l’homme ne change pas en une année, si pleine qu’elle soit.

Dès qu’il m’eut reconnu, il pressa le galop de son cheval. — Ben venuto ! me dit-il d’une voix sonore en arrivant près de moi.

Nous nous serrâmes la main. — Et Efisa ? et Gambini ? demandai-je avec une anxiété que je ne cherchai point à cacher.

— Allons au petit bois de chênes, me répondit-il après un silence de quelques instans qui me parut bien long ; là, je vous dirai tout.

J’étais accoutumé à ses façons d’agir. Nous marchâmes vingt minutes environ côte à côte, sans échanger une parole. Tout à coup, détournant son cheval, il le lança sur le talus du chemin. Je le suivis. Nous nous trouvions alors dans un taillis clair-semé de chênes nains. Ce maquis fut bientôt franchi, et nous entrâmes dans un vaste champ où l’on n’apercevait aucune trace de culture et qui semblait entièrement abandonné. À l’angle du champ, une petite maison, recouverte de chaume, s’adossait au bois de chênes. Près de cette maison, mais à des distances inégales, plusieurs croix de bois noir.