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— Non, non! C’est à Monteleone que je veux le conduire.

— Mais, mon oncle, dit Gian, votre maison de Monteleone est fermée. Où rendra-t-on au corps les honneurs funéraires?

— Chez les Sanarès. On nous attendait pour une fête; le repas de noces servira pour les funérailles. Et puis il y aura les Paolesu.

On a vu comment tout s’était fait selon sa volonté.

Le lendemain, le procureur-fiscal arriva à Monteleone avec une escorte de carabiniers. Descendu chez M. Feralli, il ouvrit aussitôt une enquête où furent interrogés tous ceux qui avaient assisté aux derniers momens de Sercomin. Beppo seul, et pour cause, s’abstint d’obéir à l’appel de la justice. Malgré tout son zèle, le magistrat se trouva singulièrement circonscrit dans ses investigations par les déclarations si précises de la victime et par la concordance parfaite des témoignages invoqués. Par une entente tacite qui n’a rien de trop surprenant en Sardaigne, il ne se trouva personne pour signaler au procureur les paroles prononcées par Gambini chez Sanarès. Ces paroles n’avaient eu d’ailleurs rien de précis, et nul n’eût pu les dénoncer sans se rendre suspect d’y avoir vu une menace à son adresse, sans appeler par là sur lui-même l’attention de la justice. L’enquête fut donc bientôt terminée faute d’élémens, et le procureur-fiscal s’en retourna à Alghero, laissant seulement quelques carabiniers chargés de parcourir le pays et d’y exercer une active surveillance.

Comme on peut le penser, la fin de mon premier séjour en Sardaigne fut triste. Les nouvelles, que nous recevions d’Efisa étaient de jour en jour plus alarmantes. Il s’était fait chez elle une violente révulsion du sang, et deux médecins appelés l’un d’Alghero, l’autre de Sassari, sans se rendre bien compte de la maladie, ne conservaient presque plus d’espoir. En de telles circonstances, je ne pouvais songer à me rendre à l’invitation que j’avais reçue précédemment de Gambini. Je priai donc Gian-Gianu de porter au « comte de Minerva » mes excuses et mes adieux. Dix jours après ces étranges funérailles, je m’embarquai à Bosa sur une barque côtière qui me transporta à Cagliari, d’où le bateau à vapeur me ramena sur le continent.


IV.

En quittant cette terre de Sardaigne où j’avais reçu partout une si franche et si cordiale hospitalité, je m’étais bien promis d’y revenir un jour. Je m’y sentais rappelé et par les amitiés que j’y avais laissées, et aussi par une de ces curiosités qui poussent les âmes inquiètes à approfondir les choses douloureuses. J’y revins en effet