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tout entière, lui répétant tour à tour le récit que Sercomin avait fait en présence de Beppo et des bergers et le récit confidentiel qu’il avait recueilli ensuite des lèvres du mourant. Gambini écoutait en se mordant les lèvres et en tirant avec une violente agitation les poils de sa barbe. Lorsqu’il lut la déclaration que Sercomin avait voulu écrire et signer pour assurer plus de force à ses paroles, et afin qu’elles obtinssent plus de créance, il pâlit affreusement et laissa tomber sur Gian un regard qui lui fit peur. C’était l’éclair d’une de ces colères qui foudroient. Cette colère ne pouvait être à l’adresse de Sercomin, cette victime si généreuse. Sur qui devait-elle donc retomber ?

— Efisa, où est-elle? demanda Gambini.

— Elle est auprès du mort, au madao de Morones.

— Allons au madao.

Il était six heures lorsque les deux hommes arrivèrent au madao. Gambini entra sans hésitation, alla s’agenouiller aux pieds du cadavre, et récita une courte prière. En se relevant, il jeta sur Efisa un coup d’œil qui sembla à Gian plus qu’attendri, presque effrayé.

— Père, lui dit-elle avec des sanglots dans la voix, on me l’a tué, celui que j’aimais! Il m’a dit que c’était un homme qui avait voulu le voler, mais je ne l’ai pas cru. Il faudra le trouver, père, celui qui me l’a tué!

— Par saint Efisio, patron de la Sardaigne, s’écria Gambini, je jure à ce mort de le venger d’une façon terrible!

Et, entraînant Gian, il sortit du madao.

— Efisa est morte! lui dit-il d’une voix étranglée.

Gian crut qu’une émotion trop forte, si violemment comprimée, jetait le désordre dans les idées de Gambini.

— Efisa est morte, te dis-je, répéta celui-ci. N’as-tu pas remarqué son teint couleur de terre et ses yeux cerclés d’un violet marbré de jaune? Il m’a semblé voir sa mère, telle qu’elle était deux heures après qu’on lui eut apporté le cadavre de son frère, trouvé dans la forêt de Goceano, au temps des vieilles haines. Vingt jours après, je l’ai enterrée.

Et il répéta : — Efisa est morte !

À ce moment, il aperçut Beppo. S’adressant à lui d’un ton amical : — Toi ici, Beppo, tant mieux! Tiens, toi qui es bon à toutes choses, tu devrais nous faire un cercueil, afin que nous puissions faire enterrer décemment ce jeune homme demain à Villanova-Monteleone.

— A Villanova! s’écria Beppo; mais il me semble qu’il vaudrait mieux le faire enterrer ici par le curé de Valverde. Cela ferait moins de bruit...