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comme son hôte, et, secondé par quelques pâtres accourus à son premier coup de sifflet, fit reculer les carabiniers qui venaient s’emparer du blessé. Saverio passa plusieurs jours ainsi sous le toit de Gambini. Un berger quelque peu chirurgien, comme tous les bergers sardes, avait extrait la balle, et, quoique la blessure fût profonde, on reconnut qu’elle n’offrait aucun danger. Seulement une fièvre violente se déclara, et Saverio voulut voir son fils, alors âgé de quinze ans. Geppe, le fils de Gambini, âgé lui-même de douze ans environ, fut chargé du message de Saverio. C’est dans la nuit qu’il devait venir trouver la famille des Gianu, car le jour il aurait pu être surpris par les carabiniers. Il avait accompli sa mission et était reparti sans attendre Gian ; séparés, ils comptaient échapper plus facilement à la surveillance des carabiniers. Gian s’était mis en route après le départ de Geppe ; mais, arrivé sur le bord du Rio-Fondo, il trouvait celui-ci se débattant avec son cheval contre le torrent déchaîné. Gian, n’écoutant que son généreux courage, s’élançait au milieu des eaux grondantes, et il était assez heureux pour arracher Geppe à une mort imminente. À dix heures du matin, tous deux arrivaient au madao, où Gambini les attendait dans une mortelle inquiétude. Bientôt il savait tout, et les deux ennemis mortels, — Saverio, dont le fils avait sauvé celui de Paolo, — Gambini, qui avait risqué sa vie et celle de son cher Geppe pour Saverio, — se réconciliaient solennellement. Saverio dit même en ce moment à son fils quelques paroles qu’il n’oublia jamais : « À quelque heure que ce soit et quelque chose qu’il arrive, souviens-toi que tu appartiens à Paolo Gambini. » Deux jours après, les gendarmes., craignant d’engager une lutte inutile et dangereuse avec les bergers de Gambini, avaient repris la route de la ville voisine. Le père de Gian quittait presque en même temps le madao hospitalier dont le maître promettait de traiter désormais comme un second fils celui qui avait sauvé son enfant. — Et voilà pourquoi, me dit Gian-Gianu en terminant son récit, voilà pourquoi j’aime et je respecte Paolo Gambini.


II.

Presque toutes les villes de Sardaigne sont misérablement bâties, Et Villanova-Monteleone ne fait pas exception. On y compte de quatre à cinq mille habitans. Ne cherchez point ici, comme dans l’Europe du nord, ces rians faubourgs, ces maisons qui s’échappent si joyeusement dans la campagne. Le désert règne autour de Villanova, comme autour de la plupart des villes sardes. La petite cité semble repliée sur elle-même, les habitans se serrent les uns contre les au-