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heures d’un jour de printemps-, mais ce bruit cessa lorsque nous entrâmes dans le port. La nuit était complète, et il fallut remettre notre descente au lendemain.

Le soleil se levait à peine quand nous débarquâmes au milieu des nombreux groupes d’oisifs arrêtés déjà sur le quai. Bientôt mon attention fut attirée par la physionomie et le costume d’un cavalier qui, debout près de son cheval, semblait chercher quelqu’un parmi les passagers. C’était un jeune homme de vingt-cinq ans environ, au teint basané, aux yeux noirs, à la barbe longue et soyeuse. Il était coiffé d’une sorte de bonnet phrygien de couleur brune. Ses cheveux étaient divisés en deux énormes tresses qui se réunissaient sur le front. La tunique en peau de cerf sans manches qui de ses épaules descendait jusqu’aux genoux était serrée autour de ses reins par une ceinture de cuir dans laquelle était passé un poignard recourbé : j’appris plus tard que ce vêtement s’appelle le collete ; on ne le voit plus que rarement dans le nord de l’Ile. Du justaucorps ou corytu, recouvert par le collete, on ne voyait que les manches violettes à piqûres écarlates et ornées, du poignet jusqu’au coude, d’une garniture de boutons en métal ciselé. Le collete laissait apparaître encore les bords d’une jupe en drap noir ou rhagas, tenant le milieu entre la fustanelle albanaise et les hauts-de-chausses français du XVIIe siècle, puis un pantalon bouffant de toile fine renfermé au-dessous du genou dans des guêtres de drap noir (borzeghinos) garnies de boutons de métal et ornées de rubans bleus qui les serraient à la cheville. Des plaques d’argent ciselé, incrustées de corail, étincelaient sur le collete comme sur la ceinture. L’ensemble de ce costume offrait, comme on le voit, un mélange singulier de richesse et de simplicité.

Le cavalier qui venait d’attirer ainsi mon attention se détacha promptement du groupe des curieux ; il avait reconnu en moi l’étranger qu’attendait M. Feralli, et tenait à me remettre sans tarder une lettre que m’adressait mon hôte. M. Feralli m’annonçait que, retenu par des obstacles imprévus dans une petite ville voisine, Alghero, il n’avait pu venir lui-même jusqu’à Porto-Torres. Son ami, le seigneur Gian-Gianu, un des riches propriétaires pasteurs de l’île, avait bien voulu le remplacer. Cet obligeant ami était devant moi, je le compris bien vite, et je tendis la main au seigneur Gian-Gianu, qui seulement alors ôta son bonnet phrygien en me disant : Ello non parla italiano ? Je lui répondis que je parlais l’italien fort mal, mais que je l’entendais très bien. Visiblement satisfait, le jeune homme me serra de nouveau la main, et mit à ma disposition un cheval confié à l’un de ses domestiques, qui le tenait en bride à quelques pas de nous. Le domestique portait, comme