Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être les plus hautes réformes, leur principe n’en est pas moins ailleurs que dans l’utilité : il est là où se trouve le principe d’autres réformes nullement utiles, purement nobles et justes. Si l’on pouvait croire cela, on arriverait à cette conviction, fort honorable pour notre espèce, que l’esprit mène le monde et que la vérité mène l’esprit, d’autant plus impérieuse sur les intelligences qu’elles sont plus fortes et plus cultivées : par où elle a quelque chance, il faut en convenir, de se révéler d’abord aux classes supérieures et même officielles.

En résumé, l’opinion est une force avec les sources et aux conditions qui viennent d’être expliquées. Cette force est la garantie du droit national, qui est la garantie lui-même des droits individuels. Tout porte, comme on voit, sur cette base de l’opinion; mais cette base est capable de tout porter. Pourquoi, ayant créé le gouvernement du pays par lui-même, ne saurait-elle pas défendre son œuvre? Pourquoi, appuyée sur les lois, ne vaudrait-elle pas ce qu’elle valait, isolée de cet appui? Il ne s’est encore rien passé qui nous autorise précisément à douter de cette force, et dès lors nous pouvons résoudre cette question que nous avons posée plus haut : lequel est préférable du droit national ou du privilège pour borner le pouvoir monarchique, pour épargner le despotisme à une société?

Mieux vaut, dirons-nous, le droit national, qui a plus de bénéficiaires, qui est plus viable d’ailleurs, qui se défendra par la puissance même du fond d’où il est né, par cette énergie de l’opinion qui a fait ses preuves, soit en détruisant les castes, soit en triomphant des dynasties. Rappelez-vous seulement ce que sait faire l’opinion, exaltée et concentrée dans une capitale ! Elle est ce qui modère, contrôle, dirige les gouvernemens, et même les détruit à l’occasion. Après cela, c’est à peine s’il est besoin de dire que cet organe balance l’ascendant de l’état comme tuteur local. Qu’importent d’ailleurs des localités sujettes ou indépendantes? Du moins que pouvez-vous attendre de là pour faire obstacle au pouvoir absolu, quand les castes elles-mêmes, de bien autres personnages, ont échoué à l’œuvre?

Il nous reste à montrer que l’opinion, puissance naturelle et régulière, est en outre une puissance éminemment adaptée à notre pays et à notre temps, qu’il n’y en a plus d’autre nulle part pour défendre les institutions, pas même en Angleterre, que parmi nous l’émancipation des communes n’ajouterait rien à cette puissance, mais aggraverait, en créant de nouveaux pouvoirs, c’est-à-dire de nouvelles réglementations, le mal intime du tempérament et du régime français. C’est ce qui sera l’objet d’une prochaine étude.


DUPONT-WHITE.