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cielles, préorganisées. Voyez plutôt la révolution anglaise de 1640, cette révolution, dis-je, et non la nôtre, où le concours des anciens pouvoirs, des classes dépossédées, est trop considérable.

Mais qu’est-ce qui vaut à une idée de faire un tel chemin? La vérité.

Cela, direz-vous, est un peu vague. — Pardon, cela se précise de soi, dès qu’il s’agit des conditions de la société parmi des êtres qui ont un fonds commun d’égoïsme, d’intelligence et de sens moral. La vérité à leur usage, c’est la discipline et la charité dans les lois : l’une pour leur interdire la malfaisance dont ils sont tentés, l’autre pour pratiquer l’assistance fraternelle, qui est leur droit et leur besoin, mais l’une et l’autre à la condition de respecter dans l’homme une force libre. Ce fonds est à ménager par-dessus tout parmi les êtres que nous avons définis, où l’égoïsme même est la marque d’une destinée qui s’appartient, d’une substance existant pour elle-même, d’une monade, et peut-être la marque la plus sûre, car l’intelligence et la conscience pourraient être les attributs d’un simple engin, d’une simple molécule, pourvu de la sorte pour le bien seulement de la masse, de l’œuvre à laquelle il appartient. Sans liberté, il n’y a plus d’hommes. Suspendez-les à quelque bon plaisir de seigneur ou de roi; clouez-les à un mécanisme comme la meule de l’esclave antique; engrenez-les dans un phalanstère, un Paraguay, une république de Platon, et voilà des êtres qui ne peuvent aller à leur fin par les moyens que la Providence a mis en eux, qui ne peuvent ni vivre ni revivre ainsi qu’il semble appartenir à leur nature. Il est douteux en effet qu’ils puissent revivre, et je note ce point en passant. Si l’homme dégénère en chose, qu’est-ce qu’il irait faire dans une autre vie, incapable qu’il était en celle-ci de mérites et de démérites, destitué de tout ce qu’il portait en lui pour gagner des peines ou des récompenses ultérieures?

Quoi qu’il en soit, l’idée qui ne pose pas sur une base de vérité ainsi comprise, l’idée qui n’obtient pas à ce titre ou l’assentiment général des esprits ou la popularité officielle, cette idée ne sera jamais ce que j’appelle opinion, avec cet effet de prévaloir contre la force. C’est le moment de dire que, tenant l’opinion pour une puissance, je ne nie pas pour cela la force proprement dite et les effets qui lui appartiennent, soit en vertu des lois de la nature, soit par le don de l’organisation. La force a des propriétés physiques et infaillibles. L’acier, dûment affilé, sera toujours piquant et tranchant. La poudre, sèche et comprimée, fera toujours explosion, lancera toujours le projectile. Je ne compte pas sur l’idée pour émousser l’acier ou pour mouiller la poudre; mais aussi vrai qu’elle n’est pas une cuirasse à repousser les balles ni une trompette à faire tomber les