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impliquent, ce qu’ils promettent, il ne leur sera pas toujours donné de le tenir et de le dégager : la défaillance aura son tour, et l’arbitraire ses retours; mais qu’était-ce donc que cette armure des anciens corps pour couvrir l’individu? Rappelez-vous seulement le général comte de Lally, le procureur-général La Chalotais et toutes les victimes ecclésiastiques de la bulle Unigenitus. Rien ne protégeant personne, tel est le dernier aspect de l’ancien régime.

Vous me direz que sous le régime nouveau l’individu va se trouver seul en face de la puissance publique, avec des droits sans doute, mais qu’il est incapable de défendre, et que dans cet isolement son droit est chose précaire, sans garanties, sans défense. Je réponds d’abord que des individus, chacun avec son droit et un droit profitable, sont une force, que les hommes se tiennent par les idées et par les intérêts qu’ils ont en commun, qu’en pareil cas le concert et l’ensemble défensif naissent du fond des choses ; mais il y a mieux ; et les droits individuels n’ont pas seulement cette garantie implicite et morale : ils ont une garantie politique. Nous n’avons pas tout dit dans cet exposé de ce que la révolution a fait pour l’individu. Il nous reste à considérer comment elle l’a érigé en citoyen, comment elle a constitué la nation, soit pour la sûreté des droits privés, soit pour le contrôle des intérêts généraux.

Oui sans doute, elle a fait main basse sur toute existence collective, sur toute indépendance privilégiée ; mais elle a créé au plus haut et au plus bas de la société deux puissances qui s’appuient et se constituent l’une sur l’autre, d’une part l’individu avec certains droits inviolables, d’autre part la nation, représentée et souveraine. Tout le droit connu ou possible, elle l’a résumé dans ces deux droits, dans ces deux puissances. Vous avez bien autre chose que les parlemens ou le clergé pour tempérer le pouvoir central : vous avez la nation elle-même, où chaque homme est citoyen, où pour la sûreté de ses droits chaque citoyen a l’électorat, le jury, la presse.

Soit! dira-t-on, le droit individuel a pour garantie le droit national; mais celui-ci, quelle en sera la garantie? — La question devient délicate à vue d’œil. Je reconnais que dans toute société libre, mais ordonnée, l’état dispose absolument de la force armée : je ne perds pas de vue que le pouvoir exécutif dans un pays où il a été longtemps le pouvoir unique a de mauvaises traditions, d’odieuses réminiscences, et peut céder à des convoitises de l’autre monde. C’est une fatalité française que tout ce qui a régné parmi nous, anciennement ou récemment, trouve dans son passé quelque souvenir de dictature, mêlé, il faut le reconnaître, de grandeur et de services notoires : par où les simples sont induits à prendre le mérite du des-