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peuples, nouveaux courtisans, doivent plaire. En un mot, le ministère vote de tout le poids du gouvernement qu’il fait peser sur chaque département, chaque commune, chaque profession, chaque particulier. Et quel est ce gouvernement? C’est le gouvernement impérial, qui n’a pas perdu un seul de ses cent mille bras, qui a puisé au contraire une nouvelle vigueur dans la lutte qu’il lui a fallu soutenir contre quelques formes de liberté, et qui retrouve toujours au besoin les sentimens de son berceau, la force et la ruse. Le mal est grand, messieurs; il est si grand que notre raison bornée sait à peine le comprendre. Le gouvernement représentatif n’a pas été seulement subverti par le gouvernement impérial, il a été perverti; il agit contre sa nature. Au lieu de nous élever, il nous abaisse; au lieu d’exciter l’énergie commune, il relègue tristement chacun de nous au fond de sa faiblesse individuelle; au lieu de soulever le sentiment de l’honneur, qui est notre esprit public et la dignité de notre nation, il l’étouffe, il le proscrit; il nous punit de ne pas savoir renoncer à notre estime et à celle des autres. Vos pères, messieurs, n’ont pas connu cette profonde humiliation; ils n’ont pas vu la corruption dans le droit public donnée en spectacle à la jeunesse étonnée, comme la leçon de l’âge mûr. Voilà où nous sommes descendus. Le mal, je l’ai dit, vient du pouvoir monstrueux et déréglé qui s’est élevé sur la ruine de toutes les institutions. Une société sans institutions ne peut être que la propriété de son gouvernement; en vain on lui écrira quelque part des droits, elle ne saura pas les exercer et ne pourra pas les conserver. Aussi longtemps que la société sera dépourvue d’institutions gardiennes de ses droits et capables de rendre un long gémissement quand elle est frappée, le gouvernement représentatif n’est qu’une ombre! »

Quelle éloquence!... où l’on sent bien toutefois un discours d’opposition, ce que je préfère infiniment, pour ma part, à un discours ministériel. Mais rien ne vaut la vérité. Or ce tableau est chargé, certains traits en sont excessifs, celui-ci par exemple : que, la résolution aidant, le pouvoir central a fait la conquête du droit, qu’il s’est enrichi de toutes les dépouilles de la société. Rien, dans ce que nous sommes depuis 89, ne ressemble à cet aperçu. Non vraiment, la révolution n’a pas fait une chose si simple et si violente que de prendre tout aux castes pour donner tout à l’état : il y a dans ses œuvres autrement de complication et d’équité.

De ce qu’elle prenait aux castes, la révolution a fait et composé plus d’une part, — l’une pour l’état, avec leurs pouvoirs convertis en services publics, — l’autre pour l’individu, avec leurs privilèges abolis, ce qui veut dire avènement du droit commun et de l’égalité, accès de tous à toutes choses. Ainsi il y a eu partage de ce que per-