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là réside le secret de toute grandeur, de toute supériorité ; car, avec ces dons et ces mœurs, les Anglais ont une capitale supérieure à la nôtre sous le rapport de la superficie, de l’agglomération, du commerce. — Je réponds que pour une cause ou pour une autre la Grande-Bretagne a sur nous un avantage marqué de population et de richesse, que cette prééminence relative et limitée n’est pas douteuse, et qu’il n’est pas bien surprenant qu’elle paraisse dans les dimensions de sa capitale. Quant à savoir d’où vient cette supériorité, nous avons touché ce point ailleurs en parlant des races.

Il faut bien parler des États-Unis, puisque vous y pensez ; mais en vérité vous me faites trop beau jeu. Quel exemple, quelle conclusion pouvons-nous tirer d’un pays où la terre est à 5 francs l’arpent environ, sans armée permanente, sans castes ni souvenir de castes, qui offre le spectacle d’une propriété foncière et d’une instruction primaire non moins universelle que le droit politique ? Cette société a d’ailleurs pour ancêtre et pour base l’émigration D’une classe moyenne qui était une secte religieuse, et cela ne représente pas moins qu’un peuple sans populace. Dans cet autre monde, dans cette étrange planète, les communes sont libres, j’en conviens ; mais il n’y a pas autre chose que des communes aux États-Unis, pas de nation notamment. Puis-je reconnaître une nation parmi des gens et des territoires qui stipulent un dissolvant tel que des lois civiles, criminelles et fiscales, variables selon les provinces ? Sans doute ils parlent la même langue, mais pour dire ici que le noir est une chose, là que le noir est un homme. Ils professent tous le christianisme, mais avec quelle largeur d’interprétation ! Est-ce une patrie où l’on entretient impunément de telles contradictions de mœurs ? J’aimerais mieux la tour de Babel avec quelques signes de droit commun, ou simplement la Suisse avec ses trois langues qui parlent toutes justice et humanité.

Si nous étions livrés à cette liberté locale, nous ne serions plus reconnaissables, nous tomberions en fragmens et en dissonances dont le monde s’étonnerait. Au lieu de la France, vous verriez sur tel point les substitutions et le droit d’aînesse, sur tel autre l’égalité des successions, ici des instituteurs communistes, là des instituteurs jésuites, l’impôt progressif d’un côté, proportionnel de l’autre, des routes commencées dans une région, lesquelles s’interrompraient dans la région voisine, çà et là l’intolérance catholique ou l’intolérance calviniste. Tous pensez peut-être que la France pourrait changer certains traits ou acquérir tel appendice, et avec cela rester la France ! Non vraiment ! Nous serions les États-Unis ? Tout comme dans la fable de Florian le cheval mécontent de son lot et exaucé dans ses vœux imprudens devient… le dromadaire. Ce