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centre, les unes affluant vers l’autre, qui façonne, élabore et restitue avec usure les forces dont il est le rendez-vous. Les idées et la vie politique naissent sur un point d’où elles s’élancent et pénètrent tout. Que ce point central fasse son office d’aimant, de fusion, de propagande, et tout est dit : le progrès est assuré, dont l’origine ou la façon est chose indifférente. Cela suffit à la fortune d’un peuple, et ce procédé en vaut bien un autre.

Mieux vaudrait, direz-vous, que les forces et la vie fussent également réparties sur tous les points du territoire et trouvassent où elles sont nées leur développement, leur éducation. Ce vœu part d’un bon naturel, mais avec quelque impiété. Accusez donc la Providence, qui a mis partout l’inégalité! Au surplus, nous venons de le voir, il en est d’une capitale comme d’un individu, ne pouvant ni l’un ni l’autre garder pour eux seuls le bénéfice de leur supériorité, ne pouvant guère en faire montre sans en faire part : cela, pour le dire en passant, n’excuse pas mal la Providence, et rachète l’inégalité de ses dispensations.

Est-il bien sûr d’ailleurs qu’il y ait avantage pour un pays à posséder partout la même somme de qualités et d’aptitudes? La difficulté dans cette hypothèse ou plutôt pour ce pays serait d’être une nation, c’est-à-dire l’unité imposée au nombre, à l’espace, avec les conséquences de grandeur politique et morale qui s’ensuivent. D’où pourrait naître dans une équivalence universelle la subordination qui fait l’ensemble? Qui consentirait, dans ces données, à figurer comme simple détail, comme simple élément? On peut se demander pourquoi tel fragment de territoire et de population, ne le cédant en rien à tel autre, ne retiendrait pas la souveraineté par devers lui : tout comme l’inégalité est le lien des familles, elle est celui des sociétés politiques. Précieuse est la variété qui fait des forts et des faibles, qui met le besoin de protection, la nécessité d’obéir, à côté des aptitudes impératives, car cette variété est celle qui fait l’unité : de simples différences n’y suffiraient pas; — l’unité, ai-je dit, c’est-à-dire le ciment des grandes nations, où naît l’idée du droit, où s’élabore et éclate le progrès, à moins qu’elles ne soient orientales et théocratiques, adorant leurs abus comme des mystères. Tout ce qui asservit les hommes finit par s’effacer dans une grande société où se réunissent sous le même pouvoir des climats, des races, des conditions variés. Cette fusion, cette équité s’accomplit d’abord dans les idées et dans les combinaisons de Charlemagne, je suppose, ou même de quelque Louis moins compté, d’où elle passe dans certains actes officiels, pour gagner peu à peu l’opinion et prévaloir enfin comme droit commun.

On a vu des pays et des races où toutes choses semblaient se ba-