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I.

Il ne peut être libre, nous dit-on, parce que la centralisation ne gouverne un pays qu’en le diminuant et en l’énervant. Elle a pour procédé de supplanter en toutes choses les localités, les associations et jusqu’aux individus : il lui plaît de suspecter et d’entraver tout effort spontané, toute libre initiative, avec cet effet, qui se produira tôt ou tard, d’éliminer comme superflues les facultés mêmes d’où procèdent l’effort et l’initiative. Elle réduit à rien les nations, parce qu’elle ne peut embrasser leur vie tout entière et suppléer à ce qu’elle supprime, parce qu’elle excelle à empêcher et non à faire, parce qu’elle est un obstacle à la reproduction des forces... Comment voulez-vous qu’à ce régime un pays acquière la virilité politique, qu’il ait la puissance ou même seulement la volonté de s’appartenir, de se régir lui-même?

Tel est le jugement porté en bon lieu sur la centralisation, en meilleurs termes probablement qu’on ne vient de faire : on regrette de ne pas les donner textuellement, mais on est sûr de n’en avoir affaibli ni le sens ni la rigueur. C’est le dire unanime, le concert de quelques grands esprits, MM. Royer-Collard, de Tocqueville, de Barante, Odilon Barrot, ce dernier dans un écrit lumineux et substantiel qui a paru tout récemment. Or je suppose ici un lecteur plein de respect pour les hautes autorités d’esprit, très sensible au prestige des noms, mais curieux de la vérité surtout et fort enclin à pénétrer le fond des choses.

S’il a des yeux, simplement les yeux de la tête, il entrera tout d’abord en méfiance de ce jugement. Il lui suffira pour cela d’un regard, d’un souvenir jeté sur la France et sur son histoire. Voilà, se dira-t-il, un des pays les plus centralisés, lequel toutefois est civilisé au premier chef. Je vois bien la centralisation ; mais où donc est le fléau’?

Si elle était la chose désastreuse et abjecte qu’on nous dépeint, sa malfaisance ne serait pas seulement d’exclure la liberté, mais toutes choses d’art, d’esprit, de science, tout progrès économique et intellectuel, ou mieux encore, toute vie nationale. Quand on éteint l’esprit chez un peuple, ce dont elle est formellement accusée, il n’est rien qu’on n’éteigne du coup. Ce ressort brisé, qu’est-ce qui prospérerait, ou même qu’est-ce qui survivrait? Sous une institution qui paralyse les forces d’un peuple, tout doit s’énerver et périr. Telle est la logique de cette malédiction : mais tel n’est pas précisément le fait de la France. Puisque ce pays éclate en œuvres littéraires et matérielles, c’est que l’esprit y est toujours debout. Pourquoi cet