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jusqu’aux warfs, près desquels s’amarrent les navires du commerce. Bâties pour la plupart sur des hauteurs que couronnent de grands massifs d’arbres, et qui dominent le splendide paysage du fleuve et des riches cultures de la plaine, ces maisons, vues de loin, ont un aspect charmant. L’intérieur, où le luxe gracieux de nos créoles se mêle souvent à tout le comfort de la vie anglaise, ajoute encore à l’impression que produit le premier aspect. Loin de toute protection matérielle, livrés à leurs propres forces, on voit que les traitans se sentent en sûreté au milieu de ces populations encore sauvages. Cette confiance repose principalement sur la justice avec laquelle s’accomplissent presque toujours les transactions commerciales. Le négociant européen stipule, avec le roi du pays ou un de ses délégués, la quantité d’arachides, de sésame, dont il a besoin. Cette quantité règle les travaux de culture. Les prix sont fixés d’avance, et le paiement se fait au fur et à mesure de la livraison des denrées ou marchandises européennes, toiles de Guinée, rouenneries, armes de guerre et de luxe, verroteries, etc. Quelques traitans plus intelligens ou mieux secondés par les populations au milieu desquelles ils se sont établis les ont intéressées même à leurs entreprises : il n’est pas douteux que cette association ne soit avantageuse aux deux parties.

Tout tableau cependant a ses ombres, et nous donnerions une idée inexacte de l’état réel de ces pays, si nous nous bornions à constater les résultats généraux de la direction nouvelle imprimée aux relations commerciales de ces populations avec l’Europe. Le commerce, surtout dans une région lointaine où tant de dangers menacent la vie des traitans, n’a qu’un seul mobile, l’intérêt ; trop souvent même cet intérêt dégénère en âpreté impatiente, en avidité qui, pour se satisfaire, ne recule devant aucun moyen. À côté des hommes les plus élevés par le caractère, qui placent, ainsi que nous venons de le dire, dans le travail et dans le respect absolu de la justice la sauvegarde de leurs intérêts et les gages de réussite de leurs entreprises, se pressent, il faut l’avouer, une foule d’aventuriers de toutes nations, gens sans aveu, sans principes, que ne retient aucune considération morale. Loin de tout contrôle officiel, de toute autorité légalement établie, ils demandent trop souvent la réalisation de leurs espérances à la force, à la fraude, aux transactions les plus déloyales. De là des luttes, des querelles, des conflits avec les populations indigènes, et aussi de leur part de sanglantes représailles, des vengeances longtemps différées, mais qui, après avoir attendu leur heure pendant des années entières, éclatent tout à coup alors que l’origine en est oubliée, et au milieu d’une paix profonde. Des traitans qui ont succédé aux véritables coupables paient souvent pour ceux qu’ils ont