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pendait de lui, assuré le succès d’une entreprise dont une longue expérience lui montrait les difficultés, l’esprit des soldats, leur confiance et leur élan n’étaient pas de moindres gages de réussite. Ils ne savaient guère ce qu’était Guémou, ils s’en souciaient aussi peu que d’Al-Agui et de Sirè-Adama. L’ennemi qu’ils allaient chercher était celui qu’ils avaient battu dans toutes les rencontres, qu’ils avaient vu reculer devant Médine et Bakel, qu’ils avaient refoulé à trois cents lieues de Saint-Louis. L’essentiel pour eux était la perspective de nouveaux combats à livrer. Les troupes indigènes, les tirailleurs sénégalais rivalisent d’esprit guerrier, sinon de discipline, avec leurs compagnons de France, qui en tout leur servent de modèles ; quant aux laptots, nous avons dit les qualités qui les distinguent. Dès que l’expédition fut connue, je fus assailli de demandes, de réclamations : tous voulaient s’embarquer avec moi, tous jusqu’aux domestiques, jusqu’aux malades ; à ces derniers seuls je refusai la faveur qu’ils sollicitaient.

Cinq cents hommes entassés sur le pont de l’Etoile lui donnaient un aspect singulier. Dans cette foule si étroitement resserrée, il était facile de reconnaître, à certains détails de mœurs, les populations si diverses parmi lesquelles se recrutent et les laptots et les tirailleurs indigènes. Cette superstition, cette foi aux croyances les plus absurdes inhérentes à toutes les races africaines se révélaient au grand jour. Il y a des gri-gris de toute sorte et pour tous les dangers, gri-gris contre les caïmans et contre les requins, contre les sabres et contre les lances, contre les balles et contre les boulets mêmes : les volontaires les étalaient sur leurs habits de combat, les soldats réguliers les cachaient sous la veste d’uniforme. Croient-ils donc à l’efficacité de ces talismans après tant d’épreuves décisives ? Il est certain que les priver de leurs gri-gris en les conduisant au feu serait s’exposer à voir faiblir le courage du plus grand nombre. Heureusement des sentimens du même ordre, mais plus élevés et plus conformes à la dignité humaine, se révélaient en même temps : je veux parler de la ferveur religieuse que l’approche de la lutte exaltait chez la plupart d’entre eux. Au lieu des deux salams aux premières heures du jour et à l’approche du soir, la plupart de nos passagers accomplissaient les sept adorations prescrites par le prophète. Tous ces soldats agenouillés, tous ces fronts inclinés, se relevant ensemble à certaines paroles de l’un d’eux, offraient un spectacle qui eût intéressé l’artiste aussi bien que le penseur.

Chacun des bateaux à vapeur de la flottille de guerre traînait derrière lui de nombreuses annexes, écuries, chalands chargés de vivres et de munitions. Ces remorques ralentissaient la marche et gênaient les mouvemens ; mais les eaux étaient à leur maximum d’élévation. Grâce à cette circonstance, l’extrême attention des pilotes prévint