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Cazamance, le Rio-Nuñez, le Rio-Pongo, le Rio-Grande, etc., n’a pas peu contribué à l’affermir encore. Les six mois de repos qui suivaient autrefois les fatigues de l’hivernage ont, dans ces derniers temps, été changés en six mois de nouvelles expéditions de guerre, et ce changement, forcé d’ailleurs, a eu les plus déplorables résultats au point de vue de la santé des hommes. Les chiffres de mortalité de la population européenne de Saint-Louis ne dépassent pas en général ceux de la plupart de nos villes d’Europe ; mais ce n’est qu’avec un sentiment de profonde tristesse que la pensée évoque le souvenir de tant de belles intelligences, de tant de vigoureuses et puissantes organisations, tombées victimes de ce climat meurtrier dans l’accomplissement d’un devoir obscur. Les premières campagnes de l’Étoile allaient augmenter la liste si nombreuse de ces victimes. Nous arrivions en effet en plein hivernage, et tel était le besoin du gouverneur d’utiliser toutes les heures de cette trop courte saison, tous les navires de sa petite flotte, que six jours après notre arrivée dans la colonie nous remontions le fleuve avec 100 tonneaux de briques sur notre pont, et un chaland de 300 tonneaux à la remorque. Ces matériaux étaient destinés à la construction d’une de ces tours au moyen desquelles nous exerçons une influence prépondérante dans tout le voisinage, et devant lesquelles ont échoué, comme à Leybar et à Médine, la bravoure furieuse des Maures de Mohamed-el-Habib et le fanatisme des Toucouleurs d’Al-Agui.

La nouvelle tour qu’il s’agissait d’élever dominait les villages de Tébécou et de Saldè au point où le fleuve, en se séparant en deux bras profonds, forme l’Ile-à-Morfil. Cette construction allait nous assurer la possession de ce passage si important et établir notre influence sur les tribus belliqueuses du Fouta central, parmi lesquelles Al-Agui avait, les années précédentes, recruté les plus dévoués de ses guerriers. Bien que les défaites du prophète, l’insuccès de ses entreprises, eussent profondément affaibli son prestige aux yeux des Toucouleurs, il était à craindre pourtant que ces tribus ne vissent avec indignation la construction d’une forteresse française au cœur de leur pays, et que leurs chefs ne voulussent s’y opposer par la force. Telle avait été la conduite des indigènes l’année précédente, lorsqu’on avait construit la tour de Matam. Depuis une semaine environ, le capitaine du génie Fulcran était parti à l’avance avec les maçons, les manœuvres, les ouvriers de toute espèce, et quelques matériaux chargés sur des chalands. La crue des eaux, bien que légère, leur avait permis de franchir les passages les moins profonds ; il était donc nécessaire de les suivre au plus vite, soit pour leur fournir de nouveaux matériaux, soit pour les protéger par la présence de nos navires au cas où les populations se montreraient hostiles. Nos instructions se bornaient à déployer la plus grande activité et