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minarets verts de la mosquée mahométane. À terre, ces différences, ces contrastes, que l’esprit seul avait devinés, apparaissent animés, vivans. Quelle variété de costumes et de races, quand, avec les derniers rayons du soleil, la population entière de Saint-Louis se répand dans les rues ! C’est l’heure où les Européens, fatigués de la chaleur du jour, se hâtent vers le bord de la mer, pour en respirer les brises rafraîchissantes et salutaires ; c’est l’heure où les croyans s’empressent vers la mosquée où les appelle la voix du muezzin, celle enfin où les négresses courent au marché, que les pêcheurs de Guetn’dar viennent d’approvisionner de leur pêche du jour. Officiers de toutes armes aux uniformes variés, Maures à la tête nue, aux longs cheveux flottans, Peuls aux tresses bizarres, aux traits réguliers, double signe de l’origine égyptienne qu’on leur attribue, Bambaras aux formes athlétiques, chargés de lourds fardeaux, signares à la coiffure étagée, aux jupes bariolées des couleurs les plus éclatantes, se pressent, se coudoient dans les rues d’Alger, de la Mosquée, sur le pont de Guetn’dar, tandis que dans les quartiers moins animés des groupes de joueurs assis sur le sable prolongent jusqu’à la nuit leurs parties de dames et d’échecs au milieu de spectateurs passionnés, mais graves et sérieux.

Je ne sais quel voyageur a écrit que, de huit heures à minuit, chaque soir l’Afrique tout entière dansait. Il y a dans ces paroles moins d’exagération qu’on ne serait tenté de le croire. Grâce à l’insouciance de leur caractère, à leur facilité d’oubli, à leur imprévoyance de l’avenir, les noirs jouissent partout des heures présentes. Un bal est si vite improvisé, à si peu de frais d’ailleurs, que partout et à la moindre occasion ils s’abandonnent à leur passion dominante. À Saint-Louis, où la population vit dans la sécurité la plus complète, ces bals au grand air, la plupart improvisés, mais dont les plus importans sont préparés longtemps à l’avance, donnent une vive et joyeuse animation à la ville dès les premières heures de la nuit. Partout on n’entend que battemens de mains réglés par la cadence d’une chanson dont les danseuses répètent seulement le refrain monotone, et qu’un chanteur fait durer à son gré pendant des heures entières. À chaque refrain, une danseuse se détache du groupe, exécute une figure de fantaisie et revient prendre sa place dans le cercle. Ce sont là les fêtes de tous les soirs : hommes, femmes, enfans, y prennent part ; tous chantent, dansent tour à tour et sans ordre. Les grands bals, les bamboulas, exigent plus de soins, et, qu’ils fassent partie d’une fête privée ou d’une cérémonie religieuse consacrée par la tradition, ils sont dirigés par des griottes. Ces griottes forment une caste particulière : ce sont les musiciens et les poètes. Méprisés pour leur scepticisme religieux, qui touche presque à la négation de toute croyance, tenus au dernier rang de