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le pavillon de commandement d’une salve de treize coups. L’Étoile avait accompli sans obstacle sa première traversée.


I.

Quoiqu’on ait beaucoup écrit sur le Sénégal[1], cependant notre colonie de l’Afrique occidentale reste encore un pays bien peu connu. La géographie même du pays est encore à faire en grande partie, et le chaos des races qui l’habitent est mal débrouillé. Il n’est donc point hors de propos, pour la clarté de notre récit, d’établir succinctement la situation de la colonie au moment de notre arrivée. « Le Sénégal sépare le pays des Noirs du pays des Maures, » c’est ainsi qu’un célèbre écrivain arabe du moyen âge, Ibn-Kaldoun, commence sa description du Sénégal. Si cette phrase est aussi juste aujourd’hui qu’à cette époque au point de vue géographique, elle l’est bien plus au point de vue politique. En remontant le fleuve de l’ouest à l’est, les vastes solitudes de la rive droite voient errer du nord au sud, sur une étendue de plus de cent lieues, les tribus maures sans nombre qui composent les trois nations des Trarza, des Brakna et des Dowich, auxquelles on peut joindre, au-dessus de Bakel, celles des Ouled-Embarik, des Ouled-en-Naceur, des Askeur, etc. Toutes, à l’époque de la saison sèche, se portent sur les bords du fleuve riches en pâturages, où les appellent d’ailleurs les relations d’échange avec les traitans de Saint-Louis. La durée de cette saison marque celle de leur séjour sur ses rives. Dès le mois de juin, elles se mettent en marche vers les hauts plateaux de l’intérieur, à l’abri des émanations meurtrières des plaines inondées et des myriades d’insectes, fléau des bestiaux, que font naître les premières ondées de l’hivernage. Les deux premières des nations que nous venons de nommer, les Trarza et les Brakna, descendent des tribus arabes de race pure qui, vers le XIe siècle de notre ère, ont conquis le pays sur les tribus berbères des Zenaga. Malgré leurs dénégations, les Dowich, depuis longtemps affranchis de toute dépendance, descendent des tribus dont les Arabes conquirent le territoire ; mais les souvenirs de la conquête ayant donné la signification de tributaire au mot de zenaga, on comprend que l’orgueil des Dowich repousse ce dernier nom ; pourtant ces tribus ont eu leur jour dans l’histoire, et si le grand fleuve s’appelle Sénégal de leur nom de Zenaga, l’invasion de l’Espagne par les Almoravides (El--

  1. Parmi ces nombreux travaux, une place distinguée appartient à quelques études publiées dans la Revue même, — le Sénégal, par M. Cottu, livraison du 15 janvier 1845, et le tableau tracé de notre situation coloniale à une époque plus récente par M. J. Duval, livraisons du 1er  et du 15 octobre 1858.