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évidente du général Prim de ramener l’expédition à une simple négociation avec M. Juarez. Le général Prim sans doute s’est senti assez fort, assez appuyé à Madrid, pour tenter un coup d’audace en se rembarquant, et le coup une fois accompli le gouvernement de Madrid, surpris autant que tout le monde a été obligé de sanctionner ce qu’il ne pouvait plus empêcher. Il s’est trouvé dès lors dans cette condition inextricable où on le voit aujourd’hui, placé qu’il est entre ses vues primitives et les nécessités nouvelles que lui a créées la résolution brusque d’un plénipotentiaire, entre les représentans de sa politique à Paris, qui lui rappellent la vérité des choses, et le général Prim, qui l’entraîne dans la fatalité de son coup de tête. Qu’en résulte-t-il ? Une situation assez triste, nullement glorieuse pour un pays naturellement appelé à exercer plus que tout autre une influence considérable dans l’ancien monde espagnol, et qui s’était plu à voir dans l’expédition du Mexique un moyen de reparaître avec éclat dans les affaires américaines. Cette situation se résume dans un fait : où en est aujourd’hui l’Espagne ? Elle n’est ni en paix ni en guerre avec le Mexique ; elle n’a rien obtenu, rien vengé, rien réparé, et elle est obligée d’attendre que la France ait fait l’œuvre commune pour aller à son tour demander ses satisfactions au gouvernement qui sortira de cette crise. C’était bien la peine de ne pas prendre même le temps d’attendre ses alliés pour entrer trompette sonnante à la Vera-Cruz !

Et qu’on remarque comment une faute de politique peut conduire à des fautes nouvelles ! Il faut alors se tourner contre la France et épuiser contre elle cette mauvaise humeur née d’une déception. Il faut faire vibrer le sentiment national, évoquer les souvenirs du 2 mai 1808, jeter dans les polémiques le mot d’afrancesados, en l’appliquant à ceux qui ont le tort de croire tout simplement que le mieux eût été de rester au Mexique, de poursuivre l’action commune avec la France, c’est-à-dire que pour pallier une erreur et se consoler d’une déception il faut créer des causes nouvelles de malaise et de complications. Que cette situation ne réponde en rien aux ambitions légitimes que cette énergique nation peut nourrir, au rôle qu’elle peut avoir en Amérique ; cela est bien clair, et c’est bien le sentiment de l’intérêt national largement compris qui s’élève contre la fatalité de cette politique d’effacement et d’abdication. Pour nous, en France, il y a quelque chose de plus : nous sommes tentés d’en vouloir à l’Espagne, non de s’être soustraite à des embarras, mais, à un point de vue plus élevé, de n’être point restée avec nous dans une entreprise dont elle connaissait la portée, dont le vrai caractère est d’être une œuvre collective de l’Europe. En se créant à elle-même des difficultés, elle en a créé d’autres à la France. En déclinant sa part de responsabilité et de charges, elle a doublé la nôtre. Ce qu’il y a de plus clair en effet aujourd’hui, c’est que nous sommes seuls au Mexique, et que nous ne pouvons plus même y être que seuls tant que nous ne serons pas à Mexico ; ce qui est indubitable aussi, c’est qu’après toutes les satisfactions propres à maintenir ’ascendant de notre drapeau, la meilleure politique sera celle qui nous amènera par le plus court chemin en France.


CH. DE MAZADE.


V. DE MARS.