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Et cependant, pour peu qu’on suive le mouvement de l’esprit public depuis quelques mois au-delà des Pyrénées et qu’on cherche à dégager le sentiment intime du pays des excitations factices, il est certain que l’Espagne n’est pas contente du rôle qu’on lui a fait jouer. Elle a ressenti la retraite de ses troupes non comme l’acte viril d’une politique attestant son indépendance, ainsi qu’on a bien voulu le lui assurer, non comme une nécessité impérieusement évidente, mais comme un effacement, comme une déception, comme une contradiction avec tout ce qu’on lui avait dit de cette expédition du Mexique. De là le trouble et le malaise qui se sont répandus partout, et qui ont pénétré jusque dans le camp des amis du gouvernement, qui ont accru les dissidences autour du ministère du général O’Donnell. Les ambassadeurs d’Espagne à Paris se sont succédé et ont donné leur démission l’un après l’autre, le général José de La Concha, marquis de La Havane, après M. Mon. Des hommes qui avaient jusqu’alors appuyé le cabinet, comme M. Mayans et d’autres, ont quitté les fonctions qu’ils occupaient. De toute cette situation enfin a surgi une question inévitable : le général Prim, en se repliant précipitamment avec ses soldats du sol mexicain, avait-il donc été l’interprète fidèle de la politique de l’Espagne ? Avait-il même strictement obéi à ses instructions ? Était-ce pour se retirer sans avoir rien fait ni rien obtenu qu’on avait devancé la France et l’Angleterre à la Vera-Cruz ? Et au demeurant où en était-on après cette série de marches et de contre-marches au milieu de la confusion des idées et des systèmes ? C’est là le grand et curieux procès qui vient de s’agiter devant le parlement espagnol, ou le général Prim, le principal auteur de cette situation, s’est défendu avec plus de verve que de solidité dans un discours qui a duré trois jours, où le gouvernement a eu assez de peine à mettre d’accord ses opinions de toutes les dates, et où le sentiment d’une grande erreur commise au détriment de l’Espagne a eu pour organes des hommes politiques de premier ordre, des orateurs d’une substantielle éloquence, M. Manuel Bermudez de Castro, le marquis de La Havane dans le sénat, M. Mon dans le congrès, pour ne nommer que les principaux. Tout a fini dans les deux chambres sans doute par un vote favorable au cabinet. La question ministérielle a disparu, la question politique ne reste pas moins tout entière, éclairée des explications qui ont été échangées, et ce n’est peut-être pas au fond sans quelque vérité qu’un député démocrate, M. Rivero, disait le lendemain dans le congrès : « Vous êtes tristes ; le gouvernement a obtenu hier un triomphe, la nation a essuyé une grande déroute. » Et de fait, si ce n’était une grande déroute, c’était du moins l’acceptation par les pouvoirs publics d’une déception signalée, d’une situation dont tous les embarras ne sont point encore épuisés peut-être.

Il faut, pour comprendre ce qu’a pu être cette déception, se souvenir des griefs nombreux et anciens que l’Espagne avait contre le Mexique et de l’empressement presque fébrile avec lequel le cabinet de Madrid se jetait sur l’occasion de paraître dans ces contrées en compagnie de la France et de l’Angleterre, de se mêler à une grande démonstration européenne en Amérique. Des trois puissances un moment rapprochées dans l’action par le traité du 31 octobre 1861, l’Espagne était celle qui avait les plus sérieuses réparations à poursuivre. Elle ajournait cependant ses représailles ;