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Nous ne serions pas surpris que les sommes recueillies eussent déjà dépassé le premier million. Nous devons dire aussi que le comité central de Rouen a organisé le système de répartition des secours avec un zèle intelligent, et que les souscripteurs peuvent être assurés du bon emploi de leurs contributions. Des sous-comités ont été créés dans toutes les paroisses de Rouen, dans les divers cantons de la Seine-Inférieure, dans les communes où sévit le chômage, et les secours sont répartis proportionnellement aux besoins. À la fin de décembre, il avait été fait une répartition de 135,000 francs ; une répartition semblable doit être opérée aujourd’hui même, et nous espérons que les distributions vont devenir plus fréquentes à mesure que la souscription donnera des résultats plus importans. Maintenant que la glace de la grande publicité est rompue, nous croyons que le comité de Rouen publiera à des intervalles rapprochés, tant que durera la crise, le compte-rendu de ses opérations. En face de la statistique du chômage, il devra établir les ressources fournies par l’initiative privée, et nous ne pensons pas qu’il puisse y avoir de moyen d’appel plus éloquent à la générosité nationale que la publication périodiquement répétée d’un tel bilan, que tous les journaux sans doute se feront un devoir de reproduire. Cette organisation des secours et les premières répartitions, si minimes qu’elles aient été, ont déjà produit un heureux effet parmi la population souffrante ; elles ont fait pénétrer au sein de cette lugubre misère une lueur d’espoir et une chaleur de bons sentimens. Le moral, comme on dit, se relève. Tous les avis de Normandie sont d’accord pour proclamer la dignité ferme et résignée avec laquelle les populations frappées par le chômage supportent leur infortune. Ce n’est pas seulement de la sympathie et des secours que nous leur devons, c’est de l’admiration. Le mal fait surtout ses ravages dans le pays de Caux. Ces braves Cauchois sont en vérité une forte et vaillante race ; parmi eux pas un murmuré, ils apprécient avec calme, ils jugent froidement leur situation : « Que voulez-vous ? disait un de ces tisserands, parlant du chômage ; quand il n’y a pas de blé dans la trémie, le moulin ne peut pas moudre ; il n’y a pas de coton en fabrique, on ne peut pas pousser la navette. » C’est la même foi robuste, la même confiance dans le vieux pays des aïeux qu’on nous raconte de ces autres Cauchois d’au-delà de l’Atlantique, de ceux du Canada, de l’Acadie et du Cap-Breton.

Grâce aux causes qui empêchent le pays de s’accoutumer à compter sur lui-même, et qui, dans cette circonstance, ont empêché jusqu’ici les citoyens de remplir dignement envers les ouvriers de la Seine-Inférieure leurs devoirs de fraternité sociale, le gouvernement se croit obligé de demander aux chambres un crédit pour venir au secours de ces populations. Nous nous étions, quant à nous, attendus à cette extrémité, et ce n’est point notre faute si l’on y est arrivé. Nous entendons déjà de vives protestations contre la demande de crédit annoncée dans le discours impérial. « Au nom de Dieu, nous dit-on, pas d’aumône officielle, pas de charité par