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Ce n’était pas, dit-on à Law, ce qu’il avait promis, ce qu’on pouvait attendre de son vaste et puissant génie. Lui, grand théoricien, qui, sous Louis XIV, sous le régent, avait obstinément offert ses théories pour relever l’état, il hésitait quand la France à son tour se mettait à ses pieds, voulait faire sa banque royale.

Pourtant rien de plus naturel. Il avait proposé de sauver l’état naufragé en le recevant dans sa banque, dans sa république d’actionnaires ; mais ici au contraire il sentait que l’état, par une fatale attraction, engloutirait sa banque et la perdrait dans son naufrage.— Qu’était-ce que l’état ? Rien que l’ancienne monarchie non changée et incorrigible, le fantasque arbitraire, la mer d’abus, illimitée, sans fond. Nulle forme ne pouvait rassurer. Si la banque devenait royale, que refuserait-elle aux vampires qui, déjà sous Noailles, l’apôtre de l’économie, sous sa chambre de justice, avaient volé sur les voleurs, qui sous d’Argenson grappillaient dans les misérables ressources qu’on arrachait au désespoir ?

Un homme aussi intelligent que Law ne pouvait s’aveugler sur tout cela. Il sentait que tout irait à la dérive, si le pouvoir ne se liait lui-même. Il eût voulu pour garanties ces mêmes magistrats qui naguère pariaient de le pendre. Il aurait mis la banque sous l’égide d’une sorte de gouvernement national, d’une commission de quatre hautes cours (parlement, comptes, aides, monnaies). C’eût été justement le conseil de commerce que Henri IV fit en 1607. La chose eût gêné les voleurs. On dit au régent que c’était se mettre en tutelle, que d’ailleurs ces robins ignorans, routiniers, ne feraient qu’empêcher tout. À Law on dit qu’avec un prince tellement ami il resterait le maître, que c’était l’intérêt visible du régent de ne pas se nuire à lui-même, de ne pas détruire par une trop grande émission la source des richesses, de ne pas tuer sa poule aux œufs d’or. Au fond, Law était dans leurs mains. Il avait ici toute sa fortune ; il s’était compromis en recevant généreusement pour sa banque et sa compagnie nos chiffons de billets d’état. Il avait un pied dans l’abîme. On lui fit honte de reculer, de ne pas être un beau joueur, d’avoir fait misé et de quitter la table. L’honneur et le vertige l’entraînèrent, le précipitèrent.

Il cède au roi sa banque. Cet établissement, intimement lié à celui de la grande compagnie, y trouve un appui mutuel. Les profits de change et d’escompte, les profits du commerce, ceux de l’exploitation du Nouveau-Monde, voilà ce qui doit relever l’état : ressources incontestables, mais qui exigent, même dans l’hypothèse d’une administration parfaite, pour condition indispensable ce que l’on n’avait pas, le temps. — Law, le régent, pouvaient-ils s’y tromper ? N’étaient-ils pas tous deux de hardis mystificateurs ? Au