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C’était avant le décret d’accusation que Le Bon parlait ainsi ; quelques jours après, voici comment il s’exprimait : « Familiarise-toi avec cette idée que je suis allé rejoindre tous ces braves qui ont illustré la terre, et spécialement ces milliers de héros morts sur les frontières pour la république… Quel accueil je recevrai de leur part, n’ayant jamais trahi la cause qu’ils ont défendue ! Oui, si, comme il m’est doux de l’imaginer, notre âme nous survit, j’ai des droits à habiter parmi eux… Défie-toi de ta faiblesse et de la perfide espérance… Espérer est une sottise, espérer est un tourment, espérer est dans certains cas un déshonneur… »

On voit que si Le Bon n’était plus chrétien, ni même déiste bien convaincu, ses aspirations étaient restées spiritualistes, à la différence de la plupart des révolutionnaires de cette époque. « Tant que tu seras au-dessus de nos infortunes, écrivait-il encore à sa femme, ne crains de ma part ni douleur ni faiblesse ; ce n’est pas en vain que presque toute ma vie s’est passée à converser, non avec ces pitoyables petits hommes qui pullulent sur cette terre, mais avec ces illustres morts de la Grèce et de Rome, qui ont jadis honoré leur espèce par les prodiges de leur héroïsme. Eux aussi sans doute étaient regardés comme des fous par ceux qui ne se sentaient pas le courage de les imiter… Si je te suis définitivement enlevé,… ose envisager ton époux à sa dernière heure, mourant digne de toi, de la liberté et de lui-même ; prépare à nos jeunes enfans le récit naïf et naturel de toutes nos aventures ; dis-leur… ce que Cornélie disait à son second fils après la mort de Gracchus l’aîné ; montre-leur la route teinte de mon sang : qu’ils s’y élancent à ta voix, non pour me venger, mais pour soutenir les principes éternels défendus par leur père !… »

Cherchant partout des souvenirs propres à s’encourager lui-même et à fortifier sa malheureuse femme, Le Bon lui cite aussi ces dames dont parle le commencement de notre histoire, qui se piquaient surtout d’inspirer à leurs amans le mépris du danger et de la mort. Dans une autre lettre, c’est parmi les hommes même qu’il a impitoyablement frappés, parmi les royalistes, qu’il trouve le modèle de constance héroïque auquel il se propose de conformer sa conduite. Tel est son aveuglement qu’il n’éprouve aucun embarras à se rappeler ainsi ses propres forfaits en rendant à ses victimes un magnifique hommage. « N’oublions jamais, dit-il, le caractère qu’ont montré certains ennemis de la révolution jusqu’à la dernière heure ; ils mouraient en invoquant le retour de l’ancien régime, ils ne s’avilissaient point à demander grâce ; ils forçaient en quelque sorte l’admiration des patriotes par une intrépidité digne d’un meilleur parti… Et nous, pères et martyrs de la liberté, nous trahirions, nous déshonorerions six ans de travaux civiques par des regrets et des