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enfin de la violence bien naturelle des ressentimens qu’il avait excités. Sa femme, alors grosse de son second enfant, fut arrêtée à Arras, retenue prisonnière pendant plusieurs mois, et elle ne devait plus le voir. Tous ses papiers et le peu d’argent ou plutôt d’assignats qu’il possédait furent saisis à Paris, à Arras, à Saint-Pol chez la mère de sa femme, hors de sa présence et de celle de tout contradicteur légal et sans procès-verbal régulier. On ne négligeait rien de ce qui pouvait exciter contre lui l’opinion. Dans plusieurs villes, sous les fenêtres mêmes de la prison où sa femme était enfermée, on chantait une complainte sur ses crimes vrais ou faux en promenant un grand tableau qui le représentait les fers au cou et aux pieds. Aux atrocités dont il s’était souillé en effet, la malveillance ajoutait d’autres horreurs calculées pour agir sur l’imagination populaire, et qui, propagées par des libelles passionnés, reproduites même à la tribune et dans un rapport officiel, passaient alors pour des vérités incontestables, bien que la fausseté en ait été depuis démontrée. Tout cela certes est bien odieux, et M. Emile Le Bon est fondé à s’en plaindre ; mais comment ne voit-il pas que c’est le régime même dont il faisait tout à l’heure l’apologie qui avait donné à la France de telles mœurs politiques ? Comment ne voit-il pas que ces procédés, si condamnables en eux-mêmes, sont pourtant bien peu de chose lorsqu’on les rapproche des abominations de ce régime, et que les esprits impartiaux et équitables ont besoin de se faire quelque violence, d’évoquer en eux-mêmes les sentimens de l’éternelle justice, de se défendre des entraînemens d’une trop juste indignation, pour condamner comme il convient ces représailles bien incomplètes ? Je remarquerai d’ailleurs que les apologistes de la terreur et ceux qui essaient seulement d’atténuer l’horreur qu’elle inspire à tous les cœurs honnêtes, à tous les esprits sensés commettent en général dans leurs récits une erreur étrange. Ils semblent supposer que la réaction qui la suivit fut l’œuvre des partis qu’elle avait si cruellement opprimés, et que les royalistes, les constitutionnels, les modérés de toutes les nuances se vengèrent alors de tout ce qu’ils avaient souffert. Cela est complètement faux. Pendant les mois qui suivirent le 9 thermidor, il n’y avait place ni pour le parti monarchique, ni même pour les républicains modérés, pour les girondins. Les dominateurs du jour, c’étaient les amis de Danton, souillés de presque autant de crimes que les amis de Robespierre, plus immoraux encore s’il est possible, mais un peu moins impitoyables, ou plutôt ramenés par la nécessité, par le besoin de trouver des auxiliaires pour se relever de la proscription qui avait fini par les atteindre, à une politique moins violente, moins sanguinaire. Tallien, le septembriseur, dirigeait