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qui devaient compléter sa mission ; mais avant qu’il eût pu donner suite à ces instructions, un grand événement vint changer la face de la France : le 9 thermidor avait terminé le règne de la terreur.

Si Le Bon, avant cette journée, était déjà compromis comme ultrarévolutionnaire, il est facile de comprendre ce que dut être sa position après la chute des tyrans qui, tout en désapprouvant eux-mêmes quelques-uns de ses procédés, s’étaient crus obligés de le protéger contre ses accusateurs. Gufîroy ne se présentait plus seul pour l’attaquer. Il avait cette fois l’appui d’un autre conventionnel, d’un ancien terroriste comme lui, comme lui converti depuis quelque temps modérantisme, d’André Dumont. Dès le 15 thermidor, une députation de Cambrai s’étant présentée à la barre de la convention pour dénoncer Le Bon comme un complice de Robespierre, couvert de sang innocent, Le Bon monta aussitôt à la tribune pour essayer de se justifier ; mais des cris d’indignation s’élevèrent de toutes parts. « Voilà, s’écria Bourdon de l’Oise, le bourreau dont se servait Robespierre ! » — « Vous le voyez, dit André Dumont, ce monstre pétri de crimes, enivré de sang, couvert de l’exécration générale, vous le voyez salir cette tribune et exhaler le venin de son âme infernale… C’est bien à lui qu’on peut adresser ce discours : Monstre, va dans les enfers cuver le sang de tes victimes ! » Le bouillant orateur demandait l’arrestation et même le prompt châtiment de Le Bon. De tous côtés, le dictateur d’Arras était assailli des plus violentes interpellations. Vainement il voulut se justifier en se présentant, dans un langage encore empreint de l’ivresse du terrorisme, comme le simple exécuteur des ordres de l’assemblée, en rappelant qu’on avait approuvé, de la part d’autres représentans, des actes analogues à ceux dont on voulait maintenant lui faire un crime ; vainement quelques membres, sans prendre ouvertement sa défense, demandèrent qu’on procédât avec moins de précipitation, qu’on s’assurât si en effet il s’était borné, comme il le prétendait, à exécuter les ordres du comité de salut public. « Eh quoi ! répondit Charles Delacroix, parce qu’il aurait eu des complices, s’ensuivrait-il qu’il ne fût pas coupable ? » La convention annula son décret du 21 messidor, par lequel, moins d’un mois auparavant, elle avait passé à l’ordre du jour sur les inculpations dont il était l’objet ; elle chargea les comités de sûreté générale et de législation de lui faire un rapport dans le plus bref délai sur ces inculpations, et elle ordonna son arrestation immédiate, qui eut lieu séance tenante.

Alors commença contre lui une longue procédure dont son fils ne parle qu’avec indignation, dont les détails se ressentent en effet des passions du temps, de la dureté que le régime révolutionnaire avait apportée dans les mœurs politiques et les habitudes judiciaires,