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exposé que personne aux fureurs du parti révolutionnaire : aussi avait-il été arrêté à Arras dès le mois de janvier 1793, longtemps par conséquent avant la mission de Le Bon ; mais quinze jours après il avait recouvré la liberté. Bientôt, il est vrai, l’accusateur public, qui la lui avait rendue, effrayé par les clameurs des jacobins, l’avait fait incarcérer de nouveau, sous la prévention d’avoir émigré, et, après être rentré en France, d’avoir fait passer des secours à d’autres émigrés. Six mois s’étaient écoulés ensuite sans qu’on prît contre lui aucune autre mesure. Le Bon, à peine entré en fonctions, ordonna sa mise en jugement. Traduit devant le tribunal criminel ordinaire comme accusé de complicité avec les émigrés, M. de Béthune fut acquitté et remis encore une fois en liberté ; mais Le Bon, lorsqu’il fut informé de cet acquittement, tomba dans un de ces accès de rage qui lui étaient habituels toutes les fois qu’il pouvait craindre qu’une de ses victimes ne lui échappât. Suivant un récit transmis par la tradition, la nouvelle lui parvint au milieu d’un dîner auquel on l’avait invité. Un des convives, arrivant un peu tard et ignorant devant qui il parlait, s’empressa d’annoncer l’arrêt du tribunal comme un événement qui devait réjouir tous les honnêtes gens. Le Bon quitta aussitôt la table en exprimant sa fureur et sa volonté bien arrêtée de ne pas tolérer l’impunité d’un riche, d’un ci-devant. M. de Béthune, incarcéré pour la troisième fois, fut traduit, non plus devant le tribunal criminel ordinaire, mais devant le tribunal révolutionnaire, non plus sous l’accusation de complicité avec les émigrés, mais sous celle d’émigration. Le soir même, il était exécuté aux flambeaux, et son défenseur était conduit devant le représentant du peuple pour recevoir une menaçante réprimande. Ces circonstances, au moins dans ce qu’elles ont d’essentiel, sont reconnues exactes par M. Emile Le Bon. Sait-on sur qui portent, dans l’appréciation qu’il en fait, son blâme et son indignation ? Sur l’accusateur public, que M. de Béthune avait su mettre dans ses intérêts, sur les jurés campagnards, sur les magistrats fort inattentifs, pour ne pas dire plus, qui lui avaient permis de se prévaloir, pour repousser l’accusation d’émigration, de certains certificats de résidence dont la convention avait, en règle générale, déclaré la nullité, sur le défenseur enfin qui avait produit ces certificats ! Quant à Joseph Le Bon, son fils essaie de nous faire admirer l’inflexible droiture avec laquelle il luttait loyalement contre la vénalité et les prévarications de beaucoup de fonctionnaires publics.

Joseph Le Bon a été accusé encore d’avoir fait suspendre l’exécution d’un condamné déjà arrivé au pied de l’échafaud, pour qu’il pût entendre avant de mourir la lecture d’un bulletin annonçant une victoire de l’armée républicaine. M. Emile Le Bon ne nie pas