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jamais de présenter les actes de leurs abominables héros. Ils veulent placer ceux qui seraient tentés de les contredire dans l’alternative de justifier, d’excuser au moins des actes atroces, ou de se déclarer en quelque sorte partisans de l’étranger, dont ces actes auraient seuls empêché le triomphe. Il ne serait pas difficile, je crois, de démontrer qu’on exagère singulièrement la part que les mesures de terreur ont eue aux succès de nos armées, mais c’est d’une manière plus directe, plus franche, plus absolue, qu’il faut réfuter les apologistes du terrorisme : il faut leur dire que le crime n’est jamais permis, que la fin ne justifie pas les moyens, que, suivant une belle parole de Rousseau, la révolution la plus heureuse serait achetée trop cher par le sang d’un seul innocent, et que ne pas reconnaître ces vérités, c’est se mettre en révolte contre le principe même de la morale.

Sans contester formellement ces maximes, M. Emile Le Bon admet, pour la défense de son père, un thème qui en est la négation indirecte. Il prétend que, les actes dont on l’accuse n’étant que l’exécution des décrets de la convention, des arrêtés du comité de salut public, ayant par conséquent le caractère de la légalité, on n’est pas en droit de les lui imputer à crime. Nous verrons tout à l’heure si la base de cet argument est exacte, si Le Bon n’a jamais pris sur lui d’aggraver dans la pratique la terrible législation de l’époque ; mais pour le condamner il n’est pas même nécessaire de démontrer ce dernier point. Il est des lois prétendues qui ne méritent pas ce nom, qui sont de véritables attentats à la morale, à l’humanité, et qui ne couvrent pas de leur protection ceux qui ont consenti à en devenir les instrumens. Sans doute, en thèse ordinaire, les agens secondaires du pouvoir ne peuvent être responsables de leur obéissance à des ordres, à des lois d’une sagesse et d’une régularité contestables : exiger d’eux qu’ils se rendent juges de toutes les résolutions de leurs supérieurs avant d’y donner suite, ce serait paralyser l’action du pouvoir et proclamer une sorte d’anarchie ; mais en présence des monstruosités qui émanaient chaque jour de la convention asservie et de son atroce comité, alors qu’elle prescrivait ouvertement les actes les plus coupables, des actes contraires à toutes les lois de la morale, à toutes les inspirations de la nature, ceux qui consentaient à en être les exécuteurs devenaient les complices des tyrans de la France et s’associaient à toute leur responsabilité. « Il n’y a pas de droit contre le droit ; » cette belle parole, dont les factieux abusent trop souvent pour contester les décisions les plus inoffensives de l’autorité, pour peu qu’elles contiennent leurs passions abritées sous quelque théorie absurde ou frivole, est d’une éternelle vérité quand on l’applique à ces prétendues lois