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prêtres !… Faut-il qu’après avoir travaillé à préserver les autres de la séduction, je n’aie pu en garantir ma famille, et que ma mère soit la victime de ces mêmes hommes dont j’ai démasqué l’hypocrisie avec tant de courage !… Tous mes soins se bornent à consoler mon père, qui n’est point aristocrate, bien qu’il perde à la révolution… Mon retour à Arras le tranquillise un peu, et je n’ai pu me dispenser, à sa sollicitation, d’accepter provisoirement la cure que j’avais d’abord refusée. J’y ai été installé dimanche dernier parmi les bénédictions de mes paroissiens ; mais en vain m’accablent-ils de témoignages d’amitié, mon cœur n’est point à Neuville-Vitasse : il est au milieu de mes anciens écoliers, au milieu des habitans du Vernoi, au milieu de mes amis de Beaune, de Ciel et des environs… Renouvelez, vénérables frères,… à ces dignes objets de mon attachement l’assurance de mes sentimens à leur égard… Un jour viendra peut-être où, délivré de mon nouvel exil, je revolerai parmi vous. Oui, si le ciel me prête vie,… je reverrai encore le collège de Beaune,… le petit jardin du Vernoi et votre église des Cordeliers… Je vous prie donc très instamment de conserver mon nom sur la liste de vos associés externes, et si vous désirez y ajouter une de mes qualités, veuillez choisir entre les deux suivantes : « Joseph Le Bon, professeur de rhétorique à Beaune en 1789, » — « Joseph Le Bon, premier vicaire constitutionnel au Vernoi, près Beaune, en 1791. » Ne dites rien surtout de ma cure de Neuville-Vitasse ;… déjà l’on m’en offre deux autres, et je ne réponds pas que, pour me désennuyer, je n’aille passer quelques mois dans chacune d’elles. Plus de liaison, plus d’attachement ! Je suis parti d’un point, et, jusqu’à ce que j’y sois revenu, je ne serai constant que dans ma propre inconstance. Heureux, dans mes revers, de m’être autrefois familiarisé avec l’étude ! mes papiers et mes livres me débarrassent du poids incommode du temps. Je ne les quitte point depuis huit heures du matin, où finit ma messe, jusqu’à sept heures du soir. Alors je fais une petite promenade dans le bois, et ma journée est à son terme… J’observe, pour cette fois, les canons dans leur entier ; on ne me voit qu’à l’autel et dans mes fonctions… »


Cette lettre atteste un grand désordre d’esprit, et l’agitation, l’inquiétude dont elle porte l’empreinte contrastent étrangement avec l’état moral de Le Bon, tel que nous l’avons vu deux ans auparavant. Il n’y a plus trace de ces élans de piété qui remplissaient sa correspondance avec MM. Millié et Masson. Il est vrai que les frères et amis auxquels il écrivait les auraient assez mal accueillis. Il est d’ailleurs plus que probable qu’à cette époque la source en était déjà tarie en lui. Ce qui est certain, c’est qu’un an après le prêtre schismatique n’était plus prêtre ni même chrétien. Que s’était-il passé dans son âme pendant cet intervalle ? il se présente ici une lacune dans les documens que nous avons sous les yeux. M. Emile Le Bon se borne à nous dire que « les prêtres constitutionnels, frappés d’un discrédit et d’une répulsion universels, bientôt délaissés tout à la fois et par les hommes restés catholiques, qui n’avaient plus pour eux que blâme et antipathie, et par les hommes imbus