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d’une manière aussi contraire aux principes que je vous ai toujours donnés ? Eh quoi ! si vous n’aviez affaire à un supérieur plein de charité, vous ne seriez déjà plus dans l’Oratoire !… Ouvrez-moi votre cœur, mon cher fils, et dites-moi par quel enchaînement de circonstances fatales vous en êtes venu au point de négliger vos devoirs, et surtout ceux qui ont un rapport plus direct à la religion ! Combien je crains qu’enivré des premières douceurs de la piété pendant votre institution, vous n’ayez pas été suffisamment en garde contre ces instans de sécheresse par lesquels Dieu se plaît à éprouver ses serviteurs ! Vous vous êtes imaginé que la vertu vous procurerait partout ces jouissances délicieuses que vous avez goûtées dans les commencemens de votre vie oratorienne ; détrompez-vous, mon ami, et ne cessez point d’être vertueux parce que les consolations sensibles ne vous offrent pas toujours ici-bas votre récompense. Ce n’est point aimer le Seigneur, mais s’aimer soi-même, que de s’abandonner au moment où il veut purifier notre amour en nous privant de tout autre objet que lui… Allez vous jeter aux pieds du père Saint-Jori, conjurez-le d’oublier votre ingratitude, et priez-le de vous ramener dans le sentier de la justice… C’est le seul moyen qui vous reste de conserver l’amitié de celui qui se trouve aujourd’hui l’innocente victime de son attachement constant pour ses élèves. »


Le Bon signe, en finissant : « Le plus heureux des hommes. » Le même jour, il adressait des exhortations semblables au jeune Millié. Cette lettre, comme la précédente, prouve qu’exclu de l’institution de Beaune, il restait encore en relations de bienveillance et de confiance avec d’autres membres influens de l’Oratoire. « Quoique j’improuvasse votre démarche, dit-il à Millié, je n’avais pas moins été sensible d’abord au témoignage de votre reconnaissance ; mais la funeste nouvelle que le père supérieur vient de me donner de votre relâchement dans la pratique du bien efface l’impression agréable que votre lettre avait laissée dans mon âme. Les marques d’estime et d’attachement ne me plaisent qu’autant qu’elles partent d’un cœur sincèrement vertueux ; or où se trouve la sincérité de la vertu dans un homme qui se fait un jeu de manquer à ses devoirs ? Mon fils, hâtez-vous de réparer vos fautes, si vous voulez m’appeler encore votre père… Vous vous affligez d’un prétendu malheur temporel qui m’est arrivé ; vous me croyez dans la douleur, ce qui n’est certainement pas, et vous ne craignez pas de me contrister véritablement par votre inconduite ! Un instant de réflexion… Y songez-vous ? Ce moment est le plus beau de ma vie, et vous seul cherchez à l’empoisonner. Le Dieu de charité, à la gloire duquel j’ai sacrifié ma vie, visite son serviteur dans ses tribulations, et c’est au fond de la retraite qu’il verse comme à torrens dans mon âme les consolations ineffables de la vertu… » Un mois après, le 23 août 1790, apprenant que M. Masson veut venir le voir, Le Bon lui écrivait pour l’en détourner : « Vous savez, lui disait-il, la position où je me