Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/419

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeunes gens… Il s’en trouve très peu qui résistent au premier choc ; soyez un jour du nombre de ces derniers,… mais, pour y réussir, revêtez-vous d’une cuirasse impénétrable. Que votre religion soit établie sur des principes sûrs !… En aimant vos frères et en leur rendant tous les services qui dépendent de vous, il pourra arriver qu’ils soient ingrats à votre égard ; ne soyez donc pas assez insensé pour attendre d’eux votre récompense, rapportez tout à celui auprès duquel un verre d’eau donné en son nom aura un prix infini… Sans cet espoir de l’immortalité et de la couronne réservée aux justes, quel motif assez puissant pourrait retenir l’homme de bien dans la carrière de la vertu, où il ne recueille souvent que les tribulations et le dégoût ?… Pensez-y bien, cette voix qui nous crie au fond du cœur que nous sommes immortels n’est la suite ni de l’éducation ni des préjugés, qui sont différens chez les différens peuples ; elle est l’ouvrage de Dieu même, elle se trouve dans tous les hommes de toutes les nations. La Divinité nous aurait-elle si fortement convaincus que nous nous survivrons à nous-mêmes pour nous abuser au sortir de la vie et ne nous offrir que le néant ?… »


J’ai cité cette lettre presque tout entière, parce qu’elle donne une idée complète de l’état de l’âme de Le Bon à l’âge de vingt-trois ans. Me trompé-je en pensant qu’au milieu de ses élans de piété on sent déjà l’influence de l’esprit du temps ? Quelques-uns des argumens qu’il met en œuvre pour maintenir son ami dans la voie des croyances religieuses sont-ils bien ceux qu’aurait employés un chrétien profondément convaincu, un chrétien du XVIIe siècle ? Il se peut au surplus qu’en y recourant il eût égard aux dispositions de son correspondant plutôt qu’aux siennes propres.

Trois mois après, le 12 décembre 1788, il écrivait à ce même Millié : « Je savais bien, lorsque je vous envoyai à l’institution, que vous ne pourriez résister aux attraits vainqueurs de la piété, qui s’y montre sous les formes les plus aimables, et qui y verse dans l’âme de si douces consolations. Quelles émotions vives, quels transports charmans n’éprouve-t-on pas dans les différens exercices de votre retraite ! Quel être assez froid pourrait se refuser au plaisir d’y verser… des larmes d’attendrissement ! Mais craignez de vous livrer trop à votre imagination ; la vertu n’est point le fruit des extases et des ravissemens : c’est une constance et une exactitude à remplir nos devoirs qui provient, non d’un moment de fermentation, mais d’une attention fidèle à reconnaître les bienfaits de Dieu en coopérant à ses vues d’amour et de miséricorde à notre égard… Je me recommande à vos prières ; vous savez combien elles me sont nécessaires, distrait surtout comme je suis par tant de soins et de besogne… Tout à vous en Jésus-Christ. »

Dans une lettre un peu postérieure, Le Bon, félicitant Millié des succès qu’il a obtenus dans la carrière où il vient d’entrer, ajoute : « Prenez garde… que l’amour-propre ne corrompe vos heureuses