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lui reprocher des rigueurs commandées par les lois et quelques manifestations plus ou moins exaltées, plus ou moins exaspérées, appartenant aux circonstances et au langage du temps ? » Ainsi parle son fils. C’est dans le livre même qui contient cet étrange jugement que je vais chercher les moyens de l’apprécier.


I

Joseph Le Bon était né à Arras le 25 septembre 1765, de parens pauvres et chargés de famille. Néanmoins il avait reçu une éducation complète à l’Oratoire de cette ville, puis dans l’institution de Juilly, qui était la maison mère des oratoriens. À dix-huit ans, ses études étaient déjà tellement avancées que ses supérieurs crurent possible de l’envoyer à l’institution de Beaune, en Bourgogne, pour y donner à son tour l’enseignement. La pauvreté, le besoin de se créer une existence avaient pu être les premiers mobiles qui l’avaient poussé dans cette carrière ; mais il parut bientôt s’y attacher fortement, aussi bien qu’au pays où il venait d’être transféré. Il avait, dit-on, des talens réels pour l’enseignement, et la franchise de son caractère, sa bonté affectueuse lui firent promptement de nombreux amis tant à l’Oratoire que parmi les habitans de Beaune, et surtout parmi les parens de ses élèves. Malgré son extrême jeunesse, sa correspondance avec deux de ses confrères qui avaient été ses élèves, MM. Millié et Masson, prouve qu’il exerçait sur eux cette influence qu’on n’obtient à un tel âge que par une maturité précoce et par une conduite irréprochable. Le ton en est plein d’abandon et de tendresse, la pensée qui y domine est profondément religieuse. Il recommande sans cesse à ses amis l’amour, le respect de la règle.


« Ne négligez, dit-il au jeune Millié, aucun de vos devoirs ; il n’en est point qui ne soit très méritoire et très respectable dès qu’il est fait en vue de Dieu. Vous trouverez parmi vos confrères des têtes, éventées qui traiteront de niaiseries toutes les pratiques… en usage dans la sainte maison que vous habitez ;… vous vous souviendrez… de ce que je vous ai si souvent répété,… que, s’il était en mon pouvoir de recommencer l’institution, je serais d’une attention scrupuleuse pour n’omettre aucun des exercices prescrits par les règlemens… Aimez votre petite cellule, regardez-la comme un arsenal où vous devez sans cesse vous occuper à préparer des armes pour le jour du combat, car, vous le savez, ce n’est, à proprement parler, ni l’année que vous commencez ni celle qui suivra qui m’inquiètent : vous trouverez dans l’heureuse habitude que vous avez contractée d’être vertueux et dans les sages conseils des personnes qui sont chargées de vous assez de secours pour le bien ; mais viendra le temps où il faudra paraître en présence des ennemis. Ce moment, quelque éloigné qu’il vous semble, ne doit jamais être perdu de vue ; vous savez qu’il a été funeste à bien des