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des administrations possibles. Dernièrement un concours a été ouvert parmi les instituteurs primaires ; on leur demandait ce qu’ils pensaient d’eux-mêmes et de leurs fonctions. Six mille mémoires ont été envoyés ; le public n’en a eu connaissance que par le rapport qui les résume. Nul doute n’est possible sur le ton qui y règne ; c’est un concert de félicitations avec peu de notes discordantes. Une seule plainte s’en est exhalée, unanime il est vrai, au sujet de l’insuffisance des traitemens, que personne ne conteste, et au sujet de laquelle l’administration se laisserait volontiers forcer la main. Quelques concurrens ont étendu leurs réclamations jusqu’au logement et au matériel de l’école ; les plus hardis ont proposé un cours de jardinage comme annexe des cours primaires, ce qui aurait mis un petit clos à leur disposition. Telles sont les réformes généralement indiquées, et encore faut-il croire que ces vœux ont été enveloppés dans des formules de respect pour en adoucir l’expression.

En Angleterre, il n’en est point ainsi. Les enquêtes y sont libres et toujours empreintes d’amertume. On y reconnaît l’accent d’un peuple qui n’est accoutumé ni à se flatter, ni à être flatté, se laisse dire ses vérités jusqu’à l’exagération, et tient moins à savoir par où il excelle que par où il pèche. On n’y a point en vue une autorité constituée dont il faut gagner l’oreille ou ménager les susceptibilités, mais l’opinion publique, sur laquelle on cherche à agir fortement pour éveiller son attention et vaincre son indifférence. De là un autre écueil dont il est essentiel de se défier. Ces enquêtes chargent souvent, en vue de l’effet, les couleurs du tableau ; on y met volontiers les choses au pire. S’il est quelque détail de nature à émouvoir, on en exagère à dessein la portée ; tel accident du sujet prendra des proportions hors de mesure, et, tout exact qu’il est, donnera une fausse notion de l’ensemble. Ce défaut, commun aux enquêtes anglaises, et dont on ne tient pas suffisamment compte dans les jugemens qu’on en tire, se retrouve à un certain degré dans celle dont je vais exposer les résultats. Je m’appuierai dans ce travail sur un rapport publié par M. Senior, président de la commission chargée d’examiner l’état de l’instruction primaire. Les titres de M. Senior comme économiste et comme moraliste sont de notoriété publique ; ceux des membres qui lui étaient adjoints ne sont pas moins réels : appartenant au clergé et à l’enseignement supérieur, ils étaient par leurs études et leurs fonctions familiers avec la matière ; ils n’avaient rien à ménager ni à craindre, n’étaient animés que de la seule préoccupation de guérir le mal et de faire le bien, dussent-ils pour cela porter des coups violens et jeter par des récits douloureux le trouble dans les consciences.

L’objet de l’enquête peut se définir en quelques mots : fallait-il