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de Grenoble comme au parlement de Bordeaux, mais avec plus d’embarras : « Sa majesté m’ordonne de vous dire qu’elle est fort étonnée que ses cours regardent comme une punition pour ceux de ses magistrats qu’elle a appelés près de sa personne l’ordre qu’ils reçoivent de s’y rendre pour le bien de son service. La liberté légitime de tous ses sujets est aussi chère au roi qu’à eux-mêmes ; mais il ne souffrira pas que ses cours s’élèvent contre l’exercice d’un pouvoir que l’intérêt des familles et la tranquillité de l’état réclament souvent, et dont le roi a la satisfaction de penser qu’il a usé avec plus de modération qu’aucun de ses prédécesseurs. » C’était prendre faiblement la défense des lettres de cachet. La juste réprobation qui s’attachait au mot, le souvenir de l’usage odieux qu’on en avait fait sous le dernier règne, ne permirent aucune transaction. Tous les parlemens du royaume, suivant le courant impétueux de l’opinion publique, fulminèrent à la fois contre un pouvoir détesté qui se condamnait en quelque sorte lui-même.

Ce fut alors que l’étourderie présomptueuse de M. de Brienne fit rendre, avec un grand appareil de force, ces édits de mai 1788, la plus grande faute du gouvernement de Louis XVI. Ce coup d’état contre les parlemens parut un retour au pouvoir absolu. Il échoua partout à la fois ; mais nulle part il ne souleva une plus vive résistance qu’à Grenoble. Le duc de Clermont-Tonnerre, commandant de la province, se rendit au palais du parlement, accompagné de l’intendant, M. de La Bove, et de l’intendant de Lyon, M. Terray, envoyé tout exprès, pour faire enregistrer militairement les édits. Quelques jours après, la cour, ayant voulu se réunir, trouva les portes du palais fermées. Elle se retira dans l’hôtel du premier président, et là rendit un arrêt qui dénonçait les auteurs des édits au roi et aux états-généraux comme perturbateurs du repos public, fauteurs du despotisme, coupables de l’interruption de la justice, de la subversion des lois, du renversement de la constitution de l’état, et déclarant tous ceux qui en favoriseraient l’exécution traîtres au roi et à la nation, et, comme tels, poursuivis et notés d’infamie.

Le gouvernement riposta, comme partout, par de nouvelles lettres de cachet qui exilaient dans leurs terres les membres du parlement. Le peuple de Grenoble s’ameuta ; il se porta en foule à l’hôtel du premier président, M. de Bérulle, qui s’apprêtait à partir, détacha ses malles et démonta sa voiture, alla successivement en faire autant chez tous les magistrats exilés, et se précipita devant l’hôtel du duc de Clermont-Tonnerre, demandant à grands cris les clés du palais et le rétablissement du parlement. Un détachement de troupes s’avança pour repousser l’émeute ; il s’ensuivit un combat