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Le chapitre de Saint-Claude résistait toujours. En 1789, les serfs du mont Jura remplirent la France entière de leurs protestations. « C’est l’attribut de la royauté, disaient-ils dans une requête au roi, d’effacer les traces de l’esclavage et de restituer à des hommes qui naissent libres le droit qu’ils tiennent de la nature. » Quand des serfs parlent ainsi, ils sont bien près de devenir libres. L’évêque de Saint-Claude, M. de Rohan-Chabot, se déclara publiquement pour eux. « La mainmorte, dit-il à une assemblée du bailliage d’aval, est au nombre des abus qui affligent le plus les habitans des campagnes ; les terres de mon évêché, encore indivises avec mon chapitre, sont affligées de ce fléau. J’ai souvent regretté de ne pouvoir le détruire, et j’unis de bon cœur mes supplications à celles que mes vassaux adressent à sa majesté pour qu’il lui plaise affranchir gratuitement leurs personnes et leurs biens. »

C’est au milieu de ces agitations qu’eurent lieu les élections pour les états-généraux. Le haut clergé s’abstint généralement, les curés de campagne firent tout ce qu’ils voulurent ; ni l’archevêque de Besançon ni l’évêque de Saint-Claude ne furent élus ; l’abbé de Luxeuil, M. de Clermont-Tonnerre, ne fut même pas admis à voter. La noblesse avait d’abord déclaré qu’elle ne se rendrait pas aux élections, mais elle se ravisa ; elle avait surtout pour but d’écarter le prince de Saint-Mauris, qui succomba en effet à Besançon devant M. de Grosbois, premier président du parlement. Cette petite victoire fut la seule qu’obtint le parti de la résistance. Un incident fortuit vint bientôt montrer à quel point les passions étaient excitées. Un conseiller au parlement de Besançon, M. de Mesmay, avait ouvert son château de Quincey à des réjouissances populaires, quand un baril de poudre éclata dans une écurie, sans blesser personne. La foule se répandit au dehors en criant qu’on avait voulu la faire sauter. Les paysans prirent les armes, se jetèrent sur les châteaux, les incendièrent, et massacrèrent les habitans. Il fut prouvé que l’explosion avait eu lieu par accident, mais le coup était porté. Ce baril de poudre retentit dans toute l’Europe.

Le prince de Saint-Mauris, premier auteur de la révolution de Franche-Comté, émigra en 1791 et se rendit à l’armée des princes ; il y fut assez mal reçu et rentra en France ; arrêté en 1794 comme accusé de conspiration contre Robespierre, il porta sa tête sur l’échafaud. Sa veuve, qui avait partagé sa prison, épousa en secondes noces le prince Louis de La Trémouille ; elle a joué sous ce nom un rôle brillant et actif au commencement de la restauration, mais dans un sens bien différent de ses opinions premières[1]. Le marquis de

  1. Dans ses mémoires, écrits pendant l’émigration, le prince de Montbarey reproche assez amèrement à sa belle-fille son influence sur son mari.