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D’innombrables brochures se succédèrent. Les curés de campagne se réunirent de tous côtés pour signer des actes d’adhésion à la déclaration des membres dissidens du clergé. Les municipalités des villes et villages prirent des délibérations ardentes pour réclamer les droits du tiers-état. Le parlement ne se tint pas pour battu par cette levée de boucliers, qu’encourageait la déclaration du roi, affichée partout, et il eut l’imprudence de rendre l’arrêt longuement motivé du 27 janvier 1789 qui mit le comble à la confusion.

Aucun parlement ne s’était encore attribué avec tant d’arrogance le droit de faire la leçon à tout le monde. La cour y déclarait, après force considérans historiques, tenir pour maximes inviolables : que les états de la province étaient composés de trois chambres et de trois ordres, qu’il n’était pas permis aux états d’en changer la constitution et qu’elle ne pourrait être modifiée que par la nation franc-comtoise assemblée par individus, que les députés aux états-généraux devaient être nommés par les états de la province et non par les bailliages, que les états-généraux devaient être convoqués, dans la forme de 1614, en nombre égal pour chaque ordre, que les députés ne pouvaient rien changer à la constitution des états-généraux, et que ce droit n’appartenait qu’à la nation entière assemblée individuellement, etc. La chambre de la noblesse aux états de la province avait décidé qu’elle n’admettrait dans son sein que les gentilshommes ayant cent ans de noblesse : le parlement annulait cette décision comme inconstitutionnelle et reconnaissait le droit d’entrée et de vote à tout gentilhomme possédant fief.

Une émeute populaire éclata contre le parlement à Besançon ; les maisons de plusieurs membres de la cour furent insultées, et ils se crurent obligés de prendre la fuite. Le marquis de Lahgeron, qui avait succédé dans le commandement de la province à M. de Saint-Simon, était l’ami de Necker et le partisan de ses idées ; il arrivait tout exprès de la cour pour faire exécuter les ordres du roi. Sa fille avait épousé le prince de Saint-Mauris, qui s’était mis à la tête des novateurs, et que poursuivait plus que tout autre la haine du parlement. Le régiment de Piémont, alors en garnison à Besançon, avait pour colonel le comte Louis de Narbonne, autre ami de Necker et de Mme de Staël, qui partageait aussi les idées nouvelles. Ces trois hommes commandant la force armée firent sans doute peu d’efforts pour contenir les passions populaires.

Cette province était la seule en France où il restât encore des serfs sur un point isolé du mont Jura : Voltaire avait attaqué avec énergie les droits du chapitre de Saint-Claude ; une décision du parlement de Besançon les avait maintenus. En 1779, le roi Louis XVI avait affranchi par un édit les derniers serfs de ses domaines.