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favori ; tout ce que faisait Nella pour sa nourrice un sujet d’admiration et d’orgueil

— Allons, Nella, dit la capitaine à sa fille, un temps de galop !… Ton cheval est impatient et tu lui serres la bride !… Ah ! tu n’es plus cette jeune folle hardie jusqu’à la témérité qui voulait toujours courir ventre à terre.

— C’est vrai, mon père, dit Nella, je suis devenue plus sage ; ne me l’avez-vous pas maintes fois recommandé ?

— Sans doute, mais il ne faut pas devenir craintive… Tu es toujours excessive, Nella ; tantôt gaie jusqu’à l’extravagance, tantôt triste jusqu’à l’abattement… Voyons, es-tu prête ? Au galop.

Nella lança son poney et galopa à côté de son père l’espace de deux cents pas, puis, s’arrêtant tout à coup :

— Assez, assez comme cela ! Mon cheval a fait un faux pas et a failli s’abattre…

— Tu ne l’avais pas en main, reprit le capitaine ; c’est ta faute…

— Peut-être, répondit Nella ; mais vous voyez que mon poney cloche un peu ; il s’est foulé un pied de devant, et je ne veux pas le forcer…

— Eh bien ! rentrons puisqu’il en est ainsi, dit le capitaine ; tu m’avoueras, Nella, qu’il est désagréable de perdre une aussi belle matinée dans cette saison, où l’on en trouve si rarement de pareilles.

Nella ne répondit rien ; elle tenait ses regards fixés sur le mât de signaux établi vers l’extrémité de l’île de Colabah. Un pavillon venait d’y être hissé, et la jeune fille désirait impatiemment connaître la signification de ce signe télégraphique. À peine revenue dans le salon, elle prit le livre des signaux, le feuilleta avec attention, et en interrogea tous les numéros jusqu’à ce qu’elle tombât sur cette phrase : « Navire en détresse et cherchant à gagner le port. » Une vague inquiétude traversa son esprit, et son premier mouvement fut d’appeler près d’elle Gaôrie.

— Ma bonne nourrice, lui dit-elle, il y a au large un navire en détresse… Eh bien ! tu ne réponds pas !… Qu’as-tu à me regarder ainsi ?…

— Oh ! chère petite Nella, j’ai vu du haut de la terrasse une masse noire battue par les flots… Les requins en ont dévoré une partie ; mais je l’ai reconnue, ce sont les restes de la djâdougâr

— Tu as vu un paquet d’algues arrachées du fond de la mer par la tempête et rien autre chose, reprit Nella ; mais moi j’ai vu le signal qui correspond à ce numéro : navire en détresse et cherchant à gagner le port !