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mois à vivre ; je vous chasse des ombres de la mort qui bientôt s’étendraient sur vous…

— Quand il en serait ainsi, croyez-vous que la mort me fait peur ? Eh bien ! j’aime ce pays, ce climat funeste, ce soleil terrible…

— Le papillon aime aussi la flamme de la bougie, et il s’y brûle ! Partez, sir Edgar, je vous donne là un conseil… d’ami. Retournez près de votre mère, qui ne vous survivrait peut-être pas !… Elle ignore sans doute que vous êtes malade, et vous la trompez en le lui cachant.

Sir Edgar laissa tomber une larme ; Nella reprit : — Oh ! votre mère, songez à votre mère !… Ne pensez-vous pas quelquefois avec tristesse aux lieux qu’elle habite, où vous l’avez laissée seule ?…

— Sans doute j’y pense, et bien souvent, repartit sir Edgar. Le pays de Galles, toujours battu des flots, enveloppé pendant l’hiver de sombres brouillards, est la contrée où elle réside. Je l’y vois d’ici se promenant seule sur les rochers où je lui ai dit adieu… Elle habite un manoir d’un aspect assez morne, bâti au fond d’une anse profonde que des chênes noueux ombragent pendant l’été. C’est un site pittoresque et sauvage qui porte à la mélancolie…

— N’importe, retournez-y, sir Edgar ; les climats brumeux conviennent aux teints blancs et délicats. La Providence, qui nous a destinés, nous autres, à vivre sous un ciel de feu, a donné à notre peau des nuances foncées que le soleil ne peut altérer…

— Et parmi les pâles filles d’Albion, combien vous envieraient cette riche coloration dont vous semblez vous plaindre, miss Nella !

— Mais je ne me plains de rien, repartit Nella avec dignité ; allez, retournez parmi ces pâles filles d’Albion, comme vous les appelez… Quand vous serez au milieu d’elles, vous leur direz qu’elles ont plus d’éclat que le lis des vallées… Chut !… pas un mot, s’il vous plaît ; vous vous fatiguez à parler, et vous augmentez l’intensité de la fièvre.

Nella laissa sir Edgar réfléchir au conseil qu’elle venait de lui donner. Celui-ci tint pendant quelques instans ses regards fixés sur la jeune fille, dont les paroles retentissaient encore à ses oreilles. Il se demandait si miss Nella n’avait point voulu l’effrayer pour avoir une occasion de rire de sa crédulité ; mais il écarta aussitôt cette supposition et n’hésita point à regarder comme très sérieux l’avis qu’il avait reçu d’elle. Il lui en coûtait de quitter si vite et en vaincu ce pays de l’Inde qu’il se promettait d’explorer en tous sens. Malgré les frissons de la fièvre qui parcouraient ses membres affaiblis, il ne pouvait croire que sa vie fût menacée. Pendant une heure, il flotta indécis, ne sachant s’il devait rester ou partir. Lorsque enfin, fatigué de cette indécision même qui le tourmentait et aggravait