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Après avoir mangé quelques fruits, Nella se leva pour suivre le lit desséché du ruisseau dans la direction du rivage ; elle marchait lentement et cueillait d’une main distraite les fleurs auxquelles le tiède hiver de ces climats permet de s’épanouir sur les lianes toujours ventes.

— Ma petite Nella, lui cria Gaôrie, où vas-tu ainsi toute seule ! Attends, je vais te rejoindre, attends-moi !…

— Laisse-moi, répondit la jeune fille, je ne m’éloignerai pas ; le lit de ce ruisseau fait des circuits qui me ramèneront toujours à la portée de ta voix.

Elle continua d’aller ainsi, suivant les méandres capricieux du ruisseau, et toujours enveloppée dans l’ombre des arbres que les pluies de la mousson avaient fait croître sur ses rives. Les lézards inoffensifs couraient sous ses pieds, les insectes bourdonnaient autour de son front et les oiseaux gazouillaient au-dessus de sa tête. Tout vivait autour d’elle de cette vie douce et pleine qui, sous les tropiques, anime les créatures à l’époque de l’année où le soleil n’est plus assez rapproché pour les brûler de ses feux. De temps à autre Gaôrie criait : — Nella ! Nella ! — Et la jeune fille répondait à cet appel par un cri qui rassurait sa fidèle nourrice. Peu à peu celle-ci cessa de s’inquiéter, tandis que Nella, emportée par le désir de rêver à son aise dans la solitude, s’enfonçait de plus en plus dans les bambous. Quand elle se vit trop éloignée, la jeune fille voulut revenir sur ses pas, et pour aller plus vite elle quitta le lit du ruisseau, qui l’eût facilement ramenée à son point de départ. Un peu effrayée de se trouver seule, Nella n’osa plus appeler : elle craignait d’attirer près d’elle quelque Hindou aux allures suspectes. De son côté, Gaôrie, ayant vainement jeté son cri d’appel par trois fois, partit à la recherche de Nella ; mais, trop agitée pour réfléchir à la route qu’elle devait prendre, elle courut au hasard dans une direction opposée à celle qui pouvait la conduire sur les pas de la jeune fille.

— Qu’est-ce qu’elle a donc à s’en aller ainsi toute seule ? Disait à dmni-voix Gaôrie. En vérité la djâdougâr lui a donné un mauvais sort. Ah ! si jamais cette maudite vieille me tombe sous la main !…

Tandis que Gaôrie, en proie à la plus vive anxiété, cherchait de tous côtés sa jeune maîtresse, celle-ci, non moins inquiète, marchait avec précaution, comme la gazelle qui tremble de voir la crinière du lion se dresser au milieu des sables du désert. Son pied effleurait la poussière et l’herbe sans y imprimer sa trace ; le silence qui l’environnait lui permettait d’entendre les battemens de son cœur. Arrivée non loin d’une cabane de pâtre, dont la vue lui rendit un