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qui était descendu dans la cabine pour y prendre son attirail de chasse, reparut sur le pont. — Sir Edgar, dit-il à son jeune ami, voici le marais où nous allons chasser. Ce soir nous reviendrons dîner dans la barque, et nous repartirons au lever de la brise pour Colabah…

— Je vous suis, capitaine, dit sir Edgar. Et se tournant vers la jeune fille : — Miss Nella, lui dit-il, nous allons courir comme des fous à la poursuite des innocentes bêtes qui nagent paisiblement dans les eaux de ce marais ! Et pourquoi ? Pour nous repaître de leur chair à la manière des sauvages ! L’homme civilisé a de ces retours déraisonnables vers la vie primitive… Combien les femmes sont plus sages !…

— Oh ! répliqua gaîment Nella, elles sont moins hardies, et voilà leur seul mérite… Il y a pourtant des instans où elles vous valent bien, messieurs !

— Vraiment, dit le capitaine Mackinson, il ferait beau voir une jeune fille aller à la chasse, surtout dans ces pays où l’on est exposé à de dangereuses rencontres !

— Vous êtes toujours braves, vous autres, poursuivit Nella, parce que votre courage part de là, — elle portait la main à son front en parlant ainsi,— et nous, nous avons de la bravoure à certains momens, parce que chez nous le courage part du cœur… Bonne chasse, messieurs ! Du pont de la barque, j’assisterai à vos glorieux exploits.

Le capitaine Mackinson, ayant serré la main de sa fille, sauta à terre, accompagné de sir Edgar, qui marchait à pas lents comme s’il eût quitté la barque à regret. Au même instant débarquèrent le maître d’hôtel et les cuisiniers, qui allèrent disposer le déjeuner sous un groupe d’arbres, au fond de la baie ; à quelques pas des chasseurs venaient deux serviteurs chargés de recueillir le gibier. Bientôt les coups de fusil retentirent à travers les joncs, au grand déplaisir des indigènes, qui ont horreur de voir répandre le sang des créatures vivantes. Assise sur le pont de la barque, miss Nella suivait du regard les évolutions des oiseaux du marais, qui volaient en troupe serrée au-dessus de la tête des chasseurs. À chaque instant, quelque volatile à l’aile rapide tombait mortellement atteint, en tourbillonnant comme la feuille sèche que le vent arrache à la branche touffue d’un vieil arbre. À côté de miss Nella se tenait sa nourrice Gaôrie ; elle abritait sous un vaste parasol de bambou le front de sa jeune maîtresse. Un peintre eût pris plaisir à représenter ces deux femmes si différentes d’âge et de physionomie, enveloppées dans une même ombre, tandis que tout était lumière autour d’elles. Le visage de Gaôrie, — de ce noir foncé