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luxuriante, me font songer à la première aurore éclairant le monde au lendemain de la création. Elles me rappellent les tableaux que les vers de Milton ont inspirés au peintre Martin… N’admirez-vous pas comme moi, miss Nella, cet immense paysage ?…

— Oui, répondit Nella avec un sourire, tout cela est beau ; mais tenez, ce qui me fait rêver, moi, c’est ce gros navire qui s’en va là-bas, toutes voiles dehors !… Dans trois mois, il abordera en Europe.

— Sans doute c’est un bienfait de la Providence que d’être né en Europe, répliqua sir Edgar, et celui qui a vu le jour sur cette terre de la civilisation doit souhaiter d’y fermer les yeux ; mais il y a dans nos régions septentrionales des saisons maussades et dures qui nous font trouver délicieuses vos contrées, que le soleil réchauffe toujours.

— Les Parsis, fils des Guèbres, prétendent que le soleil est l’âme du monde, et ils lui élèvent des temples. Seriez-vous donc de leur secte, sir Edgar ? Ah ! vous ignorez que le soleil de l’Inde fane et brûle en peu d’instans tout ce qu’il y a de plus délicat sur la terre ?

— Soit, repartit sir Edgar ; mais croyez-vous, miss Nella, que la vie se développe dans sa plénitude là où l’ombre règne trop souvent aux dépens de la lumière ?

— Mais c’est à une lutte incessante contre un climat hostile que vous devez votre brillante civilisation, et c’est à vos longues nuits que vous devez l’éclat de ces fêtes brillantes…

— Où l’orgueil et la vanité se donnent rendez-vous, interrompit le capitaine Mackinson. Ici la nature est perpétuellement en fête, et tous ont part à ses splendeurs, le pauvre autant que le riche !

— Miss Nella, reprit sir Edgar, en fixant sur la jeune fille des regards pénétrans, la fleur qui s’épanouit au grand air n’a rien à envier à ses sœurs condamnées à éclore dans les serres chaudes : celles-ci paraissent plus belles peut-être, parce qu’elles brillent sous un ciel sombre ; mais celle-là possède plus de vitalité, et son parfum est plus suave.

— Vous parlez par images comme les Orientaux, dit Nella avec un sourire ironique ; je suis trop habituée à ce langage pour prendre plaisir à l’entendre…

— Eh bien ! je vais parler plus clairement, puisque vous le voulez, miss Nella…

— Je vous écoute, dit la jeune fille, et elle se tint debout, appuyée contre un des mâts de la barque, dans une attitude à la fois gracieuse et attentive.

— Vous êtes jeune, bien jeune, miss Nella, reprit sir Edgar, et déjà une curiosité ardente entraîne votre esprit vers l’inconnu, par-delà les mers ! Dédaignant cette puissante nature qui vous entoure, vous, fille du soleil, vous rêvez un monde brumeux qui vous semble