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Son chant ressemblait moins à de la musique vocale qu’au gazouillement du bengali. Mêlé au murmure des flots contre les flancs de la barque, il était mieux fait pour provoquer le sommeil que pour l’éloigner. Le capitaine Mackinson ne se crut donc point obligé d’interrompre l’innocente récréation de sa fille. D’ailleurs il s’endormit presque immédiatement. Quant à sir Edgar, il écoutait ces accens singuliers, ces notes fines, saccadées, qui semblaient rouler comme des gouttes de rosée sur les pétales d’une fleur, et il croyait entendre les refrains que chantent les péris des contes persans. Tout en s’abandonnant à sa rêverie, il se disait avec surprise : Ce charme indéfinissable répandu sur toutes les choses de l’Orient serait-il donc un reflet des âges primitifs dont les peuples occidentaux n’ont jamais goûté la sereine grandeur ?


III. — LE BHOLIA.

Le jour parut enfin ; les rochers arrondis de l’île d’Élephanta, qui se dressaient comme une masse informe vaguement éclairée par les pâles reflets de la lune, commencèrent à se colorer d’une teinte rose. Les montagnes de la côte mahratte, dont les cimes dentelées ressemblent à des forteresses flanquées de tours et de donjons, laissaient passer par leurs brèches profondes les premiers rayons du soleil. La brise du large soufflait avec moins de force, et les palmiers, plus abondans sur le sable de ces rivages que les ajoncs sur les falaises de la Bretagne, n’agitaient plus que faiblement leurs vastes éventails. Sur le ciel d’un bleu d’azur, dont aucun nuage n’altérait la pureté, planaient quelques grands vautours aux ailes rondes ; des troupes innombrables d’oiseaux aquatiques, bécassines, courlis et pluviers, qui s’.élevaient tout à coup dans les airs, effrayées par le passage d’un faucon, annonçaient le voisinage des marais de Panwell. Nella, son père et sir Edgar prenaient sur le pont de la barque le café du matin.

— Vous voyez cette anse pleine de roseaux qui s’enfonce là-bas à notre gauche sous des masses de verdure ? dit le capitaine Mackinson. C’est là que nous allons aborder. Nous y serons avant une heure, pour peu que nos marins consentent à se servir de l’aviron… Et s’adressant aux Malabars qui se tenaient accroupis à la proue, mangeant à pleines mains leur riz plus blanc que la neige : — Serrez vos voiles, leur dit-il, et penchez-vous sur les rames.

— Pourquoi nous presser ? répliqua sir Edgar. Laissez-moi jouir de cette matinée splendide ; les vallées silencieuses qui se déroulent aux flancs de ces montagnes abruptes, toutes parées d’une végétation