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lors ! Aujourd’hui tout privat-docent croit de son devoir de paraître devant le public avec un traité sur les « sciences de l’état » (slaats-wissenschaften), comme il était tenu autrefois d’écrire une dissertation sur la logique ou l’esthétique. Les travaux de MM. Robert de Mohl, Bluntschli, Ahrens, Rœder, Riehl, L. Stein, Roscher, Rau, etc., constatent non-seulement un remarquable essor dans cette voie, mais ils sont mis au premier rang par tous les juges éclairés. Les questions constitutionnelles exercent aussi l’esprit des écrivains et donnent lieu à des recherches aussi consciencieuses que sagaces. C’est principalement en Angleterre qu’on s’attache à trouver les modèles et les sujets d’étude. L’ouvrage de lord Macaulay n’a peut-être nulle part autant qu’en Allemagne excité l’admiration et stimulé des émules. M. Gneist, le brillant professeur de Berlin, qui prend une part si notable aux travaux des chambres prussiennes, a publié sur la constitution et l’administration de l’Angleterre un livre classique qui a recueilli les suffrages les plus éclatans de l’autre côté du détroit. Ajoutez à cela des traités et des écrits innombrables sur toute question du moment, une foule de journaux et de recueils, parmi lesquels il faudrait surtout distinguer les Annales prussiennes, et vous n’aurez qu’une faible idée de la prodigieuse activité que développe le génie allemand dans ce domaine de la littérature politique.


L’esprit public a donc fait des progrès réels et vraiment méritoires chez les peuples de la Germanie dans la courte période qui s’est écoulée depuis la restauration du Bundestag jusqu’à l’avènement de la « nouvelle ère » à Berlin. Est-ce à dire qu’il n’y aurait rien à reprendre dans la situation morale de l’Allemagne de nos jours ? Bien loin de là, hélas ! car si le radicalisme a fait place à un ordre d’idées plus modéré et plus sérieux dans la sphère politique et intellectuelle, par contre ce que j’appellerai volontiers le radicalisme national, la tendance pangermanique, a persisté plus que jamais et n’a fait que se développer d’une manière assurément inquiétante. Pendant cette période d’inaction et d’impuissance, l’Allemagne n’a fait que rêver à des conquêtes sur le monde slave, sur l’Orient, sur la race Scandinave, voire sur la France, — et ce bon et sensé M. Varnhagen von Ense confiait à son journal, dans l’intimité de l’émotion, la douce espérance « que le temps peut encore venir où nous demanderons à la France l’Alsace et la Lorraine, à la Russie les provinces baltiques ; tout cela peut être opéré par le noir-rouge-et-or (les couleurs allemandes) !… » Dans les mêmes années, M. Gervinus publiait une Introduction à l’histoire du XIXe siècle, qui fut presque un événement, qui lui attira un procès politique retentissant. Le savant patriote y établissait d’une manière péremptoire que