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ceux dits apocryphes, la littérature patristique, les Philosophoumena, etc., avec la scrupuleuse exactitude du philologue et la sévère impartialité de l’historien. M. F. Chr. Baur, que le monde savant vient de perdre, le chef illustre de cette école qui a eu une recrudescence d’autorité après avoir été quelque temps éclipsé par son disciple M. Strauss, doit à sa méthode scientifique des résultats aussi remarquables qu’inattendus, parmi lesquels il faut signaler surtout la lutte de principes, d’influence et d’action qu’il est parvenu à démontrer entre l’apôtre des Hébreux et celui des gentils, lutte dont il a poursuivi la trace dans les vicissitudes ultérieures de l’église primitive. Ce n’est pas sans doute que ces recherches sagaces aient de quoi satisfaire le croyant, et qu’elles ne fassent pas même parfois reculer l’adepte désintéressé de la science : on croit vraiment rêver, par exemple, quand on voit les efforts que fait M. Baur pour prouver que le Simon Mage des Actes des Apôtres n’est autre que saint Paul lui-même. Il est encore une certaine interprétation « pragmatique » appliquée à l’Apocalypse de saint Jean, qui donne grande envie de se lancer tête baissée dans le plus séraphique des mysticismes. Cependant cette méthode positive de l’école de Tubingue n’en constitue pas moins un progrès véritable sur les doctrines mythologique de M. Strauss, anthropomorphique de M. Feuerbach et « hypercritique » de M. Bruno Bauer. De même, et dans une sphère bien différente, la physiologie hardiment matérialiste de MM. Vogt, Moleschott, Virchov, etc., est sous quelques rapports un progrès sur la fantasque philosophie de la nature de Hegel. Si les adeptes de cette physiologie nouvelle nient péremptoirement l’esprit, ils renoncent du moins à le a construire. »

L’étude de l’histoire a pu naturellement, moins que toute autre science, se dérober aux influences de l’époque : aussi est-ce là qu’éclate avant tout et d’une manière irrécusable la transformation qu’a subie le génie allemand depuis 1848. L’ouvrage célèbre de M. Mommsen est à cet égard un véritable signe du temps, bien qu’il n’ait pour sujet que l’ancienne Rome. Ce n’est pas seulement par la vaste érudition, par le récit vif et brillant, par un don incomparable d’exposition que l’Histoire romaine de M. Mommsen frappe l’observateur, mais- aussi et surtout par l’esprit désabusé, positif, pratique, réel, même trop réaliste, qui l’anime de toutes parts. M. Mommsen ne traite pas seulement les héros de l’antiquité comme des hommes qui ont vécu, mais comme des hommes de son époque ; il les traite familièrement, cavalièrement, avec une supériorité marquée et presque avec une sorte de dédain railleur. Il appelle les patriciens de Rome « les hobereaux du temps ; » Caton est un « don Quichotte de la phrase. ». Or M. Mommsen se défie précisément de